[Magasin général. 9, Notre-Dame-des-Lacs | Régis Loisel, Jean-Louis Tripp]
La trilogie initiale de « Magasin général » s’est finalement étendue jusqu’à un 9e et dernier tome. La série narre les trajectoires croisées de la communauté québécoise de Notre-Dame-des-Lacs, au tournant des années 1920, des histoires villageoises vieilles comme le monde et neuves comme la vie. Vu dans son ensemble, l’œuvre tient mieux la route que la succession de volumes plus ou moins réussis lancés sur les nids de poule d’une piste longue de huit années de publication (2006-2014).
Marie Ducharme est maintenant bien avancée dans sa grossesse. Noël et Réjean font faire aboutir la construction du bateau. Le printemps se devine. Les hommes vont revenir de leur saison hivernale dans les bois. Les femmes veulent s’habiller et se faire belles pour la circonstance. Serge et Réjean partent pour Montréal. Ils vont se découvrir.
Fresque sociale pétrie de bons sentiments tel un roman-savon (soap opera) des familles, « Magasin général » instille une tolérance de bon aloi envers le féminisme, l’homosexualité, la liberté sexuelle, etc. Serge, vétérinaire, survivant de la Première Guerre mondiale, fait irruption à Notre-Dame-des-Lacs et s’installe dans le cœur des villageois en général, dans celui de Marie en particulier. Cultivé, raffiné et homosexuel, il bouleverse Marie qui part pour Montréal s’ouvrir au monde. Elle découvre le charleston et les joies du sexe libre puis revient au pays. L’histoire vaut pour ses amours contrariés, la voix off du mari défunt de Marie, Félix Ducharme, les rôles secondaires bien tenus, du curé Réjean touché par la grâce à Gaëtan, simplet gastronome en passant par les bigotes Gladu, Rosa, Albertine et Jeannette, les frères Latulipe, Ernest, etc. Toute une galerie se déploie depuis les crayonnés de Loisel jusqu’aux cases peaufinées par Tripp. La mise en couleur baigne la fresque dans des teintes pastel, apportant un moelleux mélancolique à une époque révolue. L’album photo sépia qui clôt et poursuit la bédé est au diapason, amenant le lecteur à imaginer l’évolution des personnages quelques années après. On peut penser au final de la bouleversante série télévisée « Six Feet Under » (2001-2005) mais Loisel s’est arrêté bien avant Alan Ball, évitant de nous serrer le cœur et de nous secouer de sanglots. Il est aussi loisible de songer au film d’André Téchiné, « Les roseaux sauvages » (1994) quand François et Serge parcourent sur leur motocyclette la campagne du sud-ouest de la France des années 1960, au regard du périple de Serge et Réjean sur la motocyclette Indian. Les brassages et les références sont multiples. L’œuvre renouvelée de Loisel est riche de multiples interprétations, qu’elles soient tournées vers le passé ou prospectives. Régis Loisel apparaît comme un artiste majeur du 9e art.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]
Afficher toutes les notes de lectures pour ce livre