[Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Faire face à la crise et résister | Halmos Claude]
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Faire face à la crise et résister / Halmos Claude. – Librairie Arthème Fayard, 2014. – 283 p. – ISBN 978-2-213-68099-6
J'avais prévu de rédiger des notes de lecture sur quelques livres que j'ai lus récemment. Aussi, j'ai hésité quand ma fille aînée m'a proposé de lire celui-ci maintenant, car elle ne pouvait le laisser à ma disposition que brièvement. J'avais bien tort d'hésiter. Ce dernier et tout récent ouvrage de Claude Halmos a été pour moi une lecture aussi marquante que celle des deux livres de Stéphane Beaud sur lesquels j'ai écrit une note de lecture voici quelque temps. Ce que je trouve passionnant dans ces trois livres, c'est que le travail du sociologue comme celui de la psychologue nous permettent de saisir concrètement comment s'entre-déterminent les faits sociaux et le fonctionnement psychique des individus.
Claude Halmos défend l'idée que la crise économique engendre des souffrances psychologiques qui ne doivent pas être comprises comme le produit de faiblesses, d'incapacités personnelles de ceux qui les éprouvent, mais comme le produit de la réalité sociale « corrosive » (le qualificatif n'est pas d'elle) qu'ils subissent. Elle a plusieurs fois recours à l'image de la vie dans un pays en guerre pour nous inviter à ne pas sous-estimer le caractère pathogène de la vie dans un pays en crise.
Claude Halmos est une psychanalyste, formée par Jacques Lacan et Françoise Dolto, mais si elle utilise les mots de narcissisme, de transfert, de fantasme, ses descriptions de la construction de l'être social, de la petite enfance à l'âge adulte, ses descriptions des effets délétères de la situation de demandeur d'emploi, des effets délétères de la pauvreté sont faites avec une grande clarté et ne supposent pas l'adhésion à une théorie psychologique particulière.
Elle note combien les souffrances des victimes de la crise sont aggravées par « l'évaporation » des organisations qui donnaient un sens à ces souffrances en les caractérisant comme une injustice sociale et en proposant des luttes collectives pour y faire face. Aujourd'hui, au contraire : « Certains […] ne cessent, prenant pour cible les salariés, de donner d'eux l'image d'une peuplade dont la caractéristique principale serait d'être particulièrement réfractaire au travail et à l'effort. Cette croyance explique l'image des chômeurs, conçus, dans cette optique, comme les plus fainéants, les plus scandaleusement fainéants des fainéants. Des fainéants qu'il conviendrait évidemment de sanctionner. »
Claude Halmos indique ce qui lui semble être le devoir des « psys » aujourd'hui : « Les psychanalystes n'ont ni le pouvoir de changer la réalité à laquelle leurs patients sont confrontés, ni celui de faire disparaître les malheurs du monde. Ils n'ont qu'un pouvoir, celui de dire […] Il faut sortir du silence. Parler. Parler pour faire comprendre à ceux que la crise maltraite que leurs souffrances psychologiques sont, étant donné leurs difficultés matérielles, normales. Et que ces difficultés ne sont ni de leur faute ni même de leur fait, car les salariés ne sont pas plus responsables de la baisse de leurs revenus que les chômeurs ne le sont de la perte de leur emploi ou les personnes pauvres de leur pauvreté. Il faut parler pour rendre à ces victimes de la crise la parole et leur permettre ainsi de relever la tête, de sortir de la honte et, par là même, de la solitude et de l'isolement dont elles sont prisonnières. Il faut parler, aussi, pour que la société accepte enfin d'entendre leur parole, leur donne la place à laquelle elles ont droit et reconnaisse la nécessité de prendre en charge leurs douleurs. »
Mon enthousiasme pour ce livre ne supprime pas pour autant ma capacité de distanciation critique. Claude Halmos affirme, après Françoise Dolto : « les enfants – l'expérience psychanalytique le prouve – savent toujours (même – et surtout – si on le leur a caché) tout ce qui, de près ou de loin, les concerne ». Des éléments de mon histoire personnelle me conduisent à affirmer que cela ne correspond pas à la réalité, même s'il est hors de doute que secrets et non-dits soient potentiellement délétères.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]
Afficher toutes les notes de lectures pour ce livre