Je suis une bacha posh / Ukmina Manoori, avec la collaboration de Stéphanie Lebrun. – Neuilly-sur-Seine : Editions Michel Lafon, 2013. – 204 p. – ISBN 978-2-7499-1877-8
J'ai lu d'une traite ce livre, au sujet duquel Apo a déjà publié une note de lecture il n'y a pas très longtemps. C'est le livre même à conseiller à celles et ceux qui auraient du mal à comprendre l'utilité d'adjoindre au concept de sexe biologique celui de genre social. Et pour les autres, c'est une mine d'interrogations.
Rappelons que ce livre est le récit de vie d'Ukmina Manoori (je continue à élider e devant U, tout en étant conscient que cet usage est en voie de disparition ; voir page 33 : « l'âge de un an ») née vers 1968 en Afghanistan, en zone pachtoune, près de la ville de Khost, c'est-à-dire non loin de la frontière du Pakistan.
« […] Quand je vis le jour, mon père sut tout de suite que j'allais vivre. Il attendit un mois, et […] il eut cette phrase qui changea le cours de ma vie : Tu seras un garçon, ma fille. Ma mère ne s'y opposa pas, elle aussi avait besoin d'un fils. Mon frère aîné avait déjà dix ans, il fallait à mes parents un autre garçon pour aider le foyer, sortir faire des courses, garder les bêtes, travailler la terre […] une femme ne peut paraître en public seule, ce qui restreint considérablement le champ de ses activités […] Dans notre province, décréter qu'une fille est un garçon n'a rien d'exceptionnel. Au village, nous sommes une quinzaine […]
Mais ce statut de garçons n'est que temporaire. « […] A l'âge de dix ans, tout change […] A cet âge, les autres filles se voilent. Celles qui ont comme moi vécu une enfance de garçon renoncent petit à petit à leur shalwar kameez [le vêtement masculin] et à la liberté qu'il confère. Elles abandonnent les prés et les jeux pour intégrer le cadre de toute leur vie désormais : les murs de leur maison. Elles apprennent la couture, s'occupent des petits et aident leur mère. Il leur reste quelques mois avant d'embrasser leur destin de femme : à douze ans, elles portent la burqa et ne sortent plus jamais de chez elles sans la présence d'un homme […] »
Et c'est là que la vie d'Ukmina prend un tour exceptionnel. « […] Pour moi, il n'y a aucun doute : je suis une fille et je le reste, je ne peux pas changer ma nature. Mais je veux vivre comme un homme [...] » Elle résistera donc aux pressions que le mollah du village et par contrecoup son père exerceront sur elle lorsqu'elle atteindra quinze ans. Peu après survient l'intervention de l'Armée rouge. La famille d'Ukmina se réfugie dans les montagnes frontalières du Pakistan. Ukmina voudra se joindre à un groupe de moujahiddin. Ils ne peuvent accepter une femme parmi eux, mais ils lui confient des missions de guetteur ou de messager, si bien qu'après le retrait de l'Armée rouge et le retour de la famille dans le village, Ukmina aura le statut respecté de moujahid.
Avec l'arrivée des taliban, Ukmina va se voir réduite à ne plus sortir. Pour elle, le début de l'intervention américaine sera marqué par le bombardement de Khost. En 2004 ont lieu des élections présidentielles et législatives. Après les élections, Ukmina se verra convoquer à Khost, au bureau du ministère des Femmes, pour se voir confier la mission de convaincre les femmes de son district de constituer une assemblée. En 2006 elle fera (avec son frère) le pélerinage à La Mecque et en reviendra définitivement convaincue que sa manière de vivre n'est pas un péché. En 2009 elle est élue au conseil de province de Khost. Elle est en charge des affaires féminines. Elle évoque quelques affaires qu'elle a eu à traiter, montrant combien leur règlement est difficile dans la mesure où il est impossible de s'affranchir du pachtounwali, le code d'honneur des tribus pachtounes. Elle rencontrera le président Karzaï, et la première femme parachutiste et général de l'armée afghane.
Ukmina a confiance. « […] Quand les troupes internationales seront parties, je ne pense pas que ce sera le chaos prédit. J'ai confiance en mon pays. Pour la première fois depuis des décennies, nous serons entre nous, sans envahisseurs ni guerriers de la paix. Les talibans rejoindront le gouvernement, et alors ? Ils ne pourront plus imposer leurs grotesques règles, les coups de fouet, les lapidations : ce n'est plus possible […]
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