« Le plus beau ciel n’est qu’une sorte de balayure de choses répandues n’importe comment » selon Héraclite (544-480 av. J.C.) qui est un Cioran avant l’heure. Le titre du très court roman d’Elie Treese, 76 pages, emprunte une pensée d’Héraclite évoquant l’idée de la mort que se font les hommes de son temps : « Ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient ». Aujourd’hui, rien n’a changé chez les hommes ici-bas, dans cette vallée innommée où quatre hommes aux noms insaisissables (Maroubi, Low, Hadès et Her Majesty) se dépêtrent aux abords d’un chantier, la nuit, afin de siphonner le gazole du réservoir des engins pour qu’Hadès puisse se chauffer cet hiver. Maroubi raconte à jet tendu l’épopée locale en surplace du quatuor en maraude. La gnôle circule. Hadès, le plus vieux, en abuse et apparaît soit dévarié, soit lucide et amer, soit plus simplement de mauvaise humeur. Quand Hadès, le vieux des morts, décide de noircir la nuit encore plus et d’envoyer valser les plombs de son fusil sur la toupie du chantier juste au-dessus de la tête de ses alcoolytes, Low s’empoigne et fait danser les pains dans le vieux « jusqu’à ce que la main d’Hadès devienne toute molle ».
OVNI des éditions Allia, le petit livre d’Elie Treese est un premier roman inclassable, sans début ni fin, traversé de fulgurances renversantes, ainsi du soliloque d’Hadès : « […] on a tous bu à la bouteille et chacun essayait de voir ce qu’il y avait au fond mais ce n’était juste pas possible… et c’était ça la jeunesse, une chose épuisée et lointaine, peut-être même tout au bout de l’éternité et que les types comme vous autres ne peuvent pas envisager ». Le lecteur pourrait lâcher le fil mais de telles phrases sont des flèches de Parthes, toutes vibrantes longtemps encore après s’être fichées dans les cuirs les plus endurcis.
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