Isi Beller, célèbre psychanalyste de formation psychiatrique (que j'ai connu dans le cycle d'entretiens filmés en 1983 et 2008 par Daniel Friedmann,
Être Psy), a pris la plume littéraire pour la première fois à la fin des années 80, sans doute sous l'effet de la vague d'angoisse provoquée par l'apparition du SIDA.
Dans ce roman d'anticipation publié en 1990, il campe, en 2015, une humanité menacée d'extinction par une pandémie sexuellement transmise, le Feu Sacré ou fièvre spermatique, face à laquelle les États-Unis d'Amérique ont réagi par la suppression des libertés démocratiques et l'instauration d'un régime d'eugénisme prophylactique consistant dans l'anéantissement du désir masculin par implant neuro-chirurgical, donc dans l'interdiction de la procréation naturelle, remplacée entièrement par la fécondation in vitro.
Une véritable dictature anti-érection et anti-alcool est mise en place de façon totalitaire par un pouvoir policier régi par l'F.B.I. et sa redoutable section de "Biological Supervision", mais c'est la recherche biologique et médicale elle-même qui, placée au sommet des dispositifs de la sécurité nationale, s'avère être muselée par le pouvoir. On peut se figurer une "scientocratie" allant de pair avec la légalisation et diffusion massive de la cocaïne, alliée de la mafia et adepte de toute sorte de manipulations et d'intrigues, luttant cependant contre un formidable Réseau international de résistance, très organisé, qui fait appel à la liberté individuelle, intellectuelle et sexuelle, à une conception alternative du rôle de la science, à une nostalgie humaniste de la procréation et de la vie... voire à une conception holiste de la biologie en général et de l'épidémie en particulier.
Ce long roman choisit de se conformer aux stylèmes du récit d'action, avec une dynamique très poussée et habilement construite, de nombreux rebondissements, des effets cinématographiques hollywoodiens, avec la violence, la romance et les drames qui les caractérisent, un certain nombre de personnages très caractérisés dont les histoires s'entre-croisent. Cela permet une lecture fluide mais au prix d'une focalisation sur les plans rapprochés (des personnages) au détriment des gros plans sur la société.
En particulier, j'aurais souhaité lire davantage de descriptions sur ce que pourrait être une société sans sexe (sauf homosexuel féminin), et quels impacts dans les relations de genre pourrait avoir provoqués une situation d'impuissance masculine généralisée imposée par la loi.
Ce qui est formidable, par contre, c'est l'élément narratif central de la trame : la lettre ultime du vieux prix Nobel Joseph Milner, qui sera transmise à et déchiffrée par le héros René Verne, le biologiste qui a découvert le Feu Sacré, et en provoquera la métamorphose. Cette lettre (p. 242-254) est un véritable essai d'épistémologie qui nous parle, justement à nous qui vivons en Europe et presque en 2015, de notre décadence liée à celle du mythe du progrès scientifique, tout en offrant une possible issue d'ordre tout aussi scientifique, à condition de changer de paradigme, replaçant l'humanisme, le relativisme (en fait la relativité de la physique) et l'impératif catégorique d'une démocratie réelle au centre du vivre ensemble...
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