[Histoire vraie de l'homme qui cherchait le yéti | Gabi Martinez]

Je suppute que peu de membres de l'Agora connaissent le nom de Jordi Magraner. Son nom comme son histoire m'étaient également inconnus jusqu'à ce que je tombe un peu par hasard sur le "docu-fiction" de l'écrivain espagnol Gabi Martinez. Docu-fiction et non véritable biographie car Martinez a changé des noms, fait l'impasse sur des pans entiers de la vie de Magraner et surtout a "inventé" la plupart des dialogues même si l'esprit y est conservé d'après l'avertissement au lecteur inséré au début du livre.
Jordi Magraner c'est un mélange de "Petit Chose" et de Rambo au pays de l'Hindu Kuch. Dès sa prime enfance il se passionne pour les choses de la nature. Etudes scientifiques assez légères, de celles qui n'ouvrent pas toutes grandes les portes du CNRS; la lecture d'un livre de Bernard Heveulsmans sur les hommes fossiles marquera à jamais sa destinée. Avec le concours de Yannick puis de Erik L'Homme il partira de longs mois dans la vallée de Chitral au Pakistan à la recherche du Yéti ou plus précisemment du Barmanou , appellation plus exacte car le Yéti est réservé au Tibet comme tous les lecteurs de Hergé le savent....
Dans sa quête du dernier Néanderthalien vivant il recevra l'appui de quelques scientifiques de renom dont Anne Dambricourt chercheuse au Musée de l'Homme et connue pour avoir avancé une thèse audacieuse mais contestée sur l'évolution.
De plus en plus obnubilé par sa recherche (il collationne dans les montagnes tous les témoingnages de bergers ayant "vu" le Barmanou, croquis à l'appui...) il passera de plus en plus de temps au Pakistan dans la vallée des Kalash au pied de l'Hindu Kuch. De temps en temps il reprend l'avion pour la France pour y donner des conférences et surtout pour y trouver des financements à ses expéditions. Le 11 septembre 2001 le trouve en France , à Valence dans sa famille. De retour dans son pays d'adoption plus rien ne sera comme avant. C'est une fuite en avant que son biographe Gabi Martinez nous décrit. De moins en moins captivé par le Barmanou il reporte sa fébrilité passionnée sur la défense du peuple Kalash ; un peuple "relique" de trois mille âmes dont la religion est plus proche de l''animisme que de l'adoration d'Allah. D'où un ostracisme aigü qui montre que le racisme est bien la chose la mieux partagée au monde et n'est pas l'apanage des affreux blancs colonisateurs....S'impliquant également dans l'humanitaire (nous sommes dans l'après 11 septembre dont les conséquences sur la région furent dévastatrices) il est de facto obligé de prendre parti. Et c'est le parti des "éclairés", autant dire du commandant Massoud , qu'il rencontrera d'ailleurs, qu'il prend bien évidemment. Et l'on peut vite s'immaginer le ressentiment des Patchouns majoritaires à l'encontre de l'occidental qui cotoie le Tadjik et qui défend un peuple impie car non musulman. Pour parfaire la chronique d'une mort annoncée il ne faut pas sous estimer les soupçons d'espionnage qu'entretiennent les services secrets pakistanais. Autant dire que la mort de Jordi Magraner le 3 août 2002 dans sa maison de Bumburet, vallée des Kalash, n'étonne guère le lecteur. Il fût égorgé devant son bureau. L'enquête n'aboutit pas. Ses proches furent interrogés, retenus puis libérés. Des soupçons de mobiles liés à sa vie sentimentale furent évoqués. Sans preuves.
L'auteur du livre, Gabi Martinez, pour son enquête s'est rendu à Chitral et dans la vallée des Kalash en 2006.

"A l'instar de Jordi qui a voulu se rendre intouchable, je me perçois comme une victime potentielle, tout ce qui m'entoure semble m'épier. Mais non. Je ne dois pas céder à l'affolement, je dois rester calme. Rester calme.Sans compter que la menace est trop intangible, un panel d'histoires collectives que j'exagère, moi et ma tendance à la paranoïa... Mais alors, quelle est cette accablante opression, cette asphyxie ? D'où vient-elle ?
Je monte dans ma chambre au bord de la panique. Comme elle abrite trois lits, je place un matelas contre la porte en guise de contrefort et j'utilise l'autre pour bloquer une vitre cassée.J'essaie de dormir mon couteau à la main, sachant que si quelque chose vient à se produire, je n'aurai pas le choix. Je ne m'endors que deux heures à l'aube " .

Bien sûr et comme l'expression consacrée ce livre se lit comme un roman d'aventures. C'est surtout le formidable portrait d'un homme "hors-normes", pas forcemment très sympathique (certaines de ses idées fleurant bon un paganisme très droitier...genre :" l'existence c'est la lutte du fort contre les faibles", "retournons aux prémices de la civilisation d'avant le Christianisme et des autres religions du Livre"....). D'autant que la vie sentimentale, sinon sexuelle, de Magraner n'est pas occultée par l'auteur du livre et le moins que l'on puisse en dire c'est qu'elle ne lui attira pas la sympathie des indigènes. Régulièrement Magraner fût confronté lorsqu'il vivait au Pakistan à des accusations d'homosexualité et pire de pédophilie. Ce qui pourrait être un des mobiles de son assassinat .

NB : L'on pourait croire à me lire que Magraner rencontra le commandant Massoud après le 11 septembre, il n'en est rien puisque Massoud fût assassiné deux jours avant le 11 septembre. L'action humanitaire de Magraner avait commencé bien avant le 11 septembre mais les talibans étaient déjà très actifs.

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