L'étreinte fugitive
traduit de l'anglais par Pierre Guglielmina
Flammarion
Juif américain dont la famille est originaire de Galicie, Daniel Mendelssohn a fait une entrée remarquée avec Les Disparus, prix Médicis étranger 2007, dans lequel il menait une sorte d’enquête sur la disparition d’un de ses grands oncles maternels et de toute sa famille. Enquête minutieusement racontée dans son cheminement, enquête qui l’a amené, écrit-il, à devenir
« un touriste dans la souffrance des autres ». Mais il n’y avait pas que cela, dans ce livre, loin de là.
Et donc, comme il le dit dans la préface que j’ai recopiée,
Les disparus était le deuxième panneau d’un tryptique,
L’étreinte fugitive étant le premier. Le premier paru aux Etats-Unis, et hélas le deuxième en France. Hélas, car après le monument qu’était Les Disparus, on peut être amené à faire la fine bouche à la lecture de L’étreinte fugitive.
Et, pour moi, ce serait dommage. Car ce livre éclaire le projet littéraire qui est une quête d’identité. Et certains personnages!
L’histoire familiale est une part importante de notre identité. Mais il n’y a bien sûr pas que cela.
L’enfant Daniel Mendelsohn, né dans une famille juive américaine , qui un jour prend le miroir de sa mère , le tient derrière sa tête et voir s’ouvrir derrière lui un long couloir rempli de ses images à l’infini,qui est-il, et comment va-t-il se construire, lui qui aime tant les histoires racontées- et déformées- par son grand père? Très tôt il a compris que chacun de nous ne dit qu’une partie de l’histoire et que
« nous sommes toujours deux choses en même temps ».
Ce jeune homme imprégné de culture juive va d’ailleurs se passionner pour la langue grecque , et c’est à partir de l’importance dans cette langue de deux particules de liaison , le men et le de, d’un côté et de l’autre, qui structurent les phrases sans que l’on sache très bien si elles déterminent un rapport de cause à effet , de simple juxtaposition ou même d’opposition , qu’il va révéler sa dualité - ou plutôt multiplicité- identitaire.
Mendelsohn n’aime ni les catégories , ni les groupes d’appartenance strictes. Les Disparus n’est pas le livre d’un écrivain juif américain. Ou du moins, pas que cela. L’étreinte fugitive n’est pas celui d’un écrivain gay américain. Ou du moins pas que cela.S' il est vrai que l’homosexualité, la quête du désir et les rencontres avec des « garçons » ( à différencier des « hommes » par le contexte du « jeu » )sont un des thèmes importants de ce livre, il y a aussi une longue réflexion sur la paternité , puisque Daniel Mendelsohn élève les fils d’une amie dans une banlieue new yorkaise.
Ce que l’on fait de ce qui nous est donné, ce que l’on choisit de faire- si l’on croit à la possibilité d’un choix aussi minime soit-il.
C’est un bref résumé de ce livre , dont les thèmes abordés de manière successive sont régulièrement éclairés de pages se référant à la vraie spécialité de Daniel Mendelsohn, la culture grecque ancienne.
Un extrait , début d’un chapitre intitulé Mythologies, qui parle des frères ( les conflits entre frères ont eu une telle importance dans Les disparus!) ,des compromis et des tragédies..
Personne n’a jamais écrit de tragédie sur Ismène, la sœur d’Antigone- celle qui conseillait la prudence, celle qui a survécu. Comment serait-ce possible? La tragédie aime les extrêmes Elle célèbre la beauté vertigineuse de la destruction totale.
Si la tragédie était, comme nous nous plaisons à le croire parfois, le théâtre de l’affrontement du Bien et du Mal, elle ne serait pas aussi captivante: la tension qu’elle suscite vient de quelque chose de beaucoup plus complexe et intéressant, qui est le conflit entre deux idées du Bien. L’Antigone de Sophocle, une pièce qui est à bien des égards la quintessence de la tragédie, s’achève sur l’enterrement prématuré d’une jeune fille qui, après avoir été condamnée à mort par son oncle, le roi, parle d’elle-même comme d’une épouse de la mort. A pièce suit la trajectoire désastreuse des enfants d’Œdipe, le roi de Thèbes a destin tragique, qui découvre avec horreur sa double nature- fils mari, frère-père, roi-bouc émissaire, sauveur-destructeur- dans une autre pièce de Sophocle , Œdipe roi. L’action d’Antigone se déroule le lendemain du jour où les deux fils d’Œdipe se sont entretués au cours d’une bataille pour remporter le trône thébain. Le héros d’Œdipe roi ne sait pas qui il est vraiment et passe toute la pièce à le découvrir avec horreur; l’héroïne d’Antigone sait exactement qui elle est - et à quel point sa destinée est effroyable, à quelle mythologie la destine sa désastreuse ascendance biologique- et, de façon assez perverse, mais inévitable au bout du compte, elle entreprend de le prouver au prix de sa propre vie.
Après qu’Œdipe a découvert son terrible secret, sa mère-épouse, Jocaste, se tue; comme nous le savons, Œdipe s’aveugle , se condamnant à une carrière, fréquente dans la mythologie grecque, de sage aveugle, d’homme dont la vision intérieure a été chèrement gagnée, au prix de ses yeux. Œdipe abandonne le trône que son intelligence lui a acquis , et s’exile. Ses deux fils- qui, en raison d’un mariage incestueux, sont aussi ses frères, deux choses à la fois, comme Œdipe lui-même-, ses deux fils, Polynice et Etéocle, se mettent d’accord pour alterner à la tête du royaume: chacun règnera un an et permettra à l’autre de lui succéder au bout de cette période. L’arrangement ne dure pas très longtemps, bien entendu, la rivalité entre frères- j’en sais quelque chose, moi qui ai trois frères, et mon grand-père en savait quelque chose aussi- étant ce qu’elle est…..
Ces pages ont été qualifiées de « pédantes » dans une émission du Masque et la plume, moi, je n’ai vraiment pas vu dans ce livre ce qu’il y avait de pédant , et j’attends avec impatience le troisième volet du tryptique écrit par cet écrivain qui met si bien en mots son identité parcellaire comme il le dit dans l’entretien joint.
[/urlhttp://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2009-01-15/mendelsohn-et-ses-fantomes/989/0/307205[url]]
Toujours pas compris comment on mettait les liens, désolée..
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