Certains écrivains ont un style tellement personnel et singulier qu'on reconnaît d'emblée leur plume...
Je n'avais lu jusque-là qu'un seul roman de Maylis De Kérangal, mais si l'on m'avait fait découvrir les premières lignes de "Corniche Kennedy" sans me dévoiler l'identité de son auteur, je crois que je l'aurais devinée sans peine.
J'y ai en effet retrouvé cette écriture qui se déroule comme un flux puissant, donnant l'illusion de l'impétuosité. L'illusion seulement, car elle est par ailleurs totalement maîtrisée ; le récit se dévide avec une logique implacable, sans temps morts, dans un rythme quasi frénétique.
L'auteure exprime ainsi avec force la jeunesse des corps, les émotions adolescentes, le besoin d'adrénaline de la bande de jeunes qui défie à la fois la mort et les autorités en plongeant depuis "La Plate", ce rocher qui surplombe, à Marseille, la Méditerranée, et dont les anfractuosités forment des plongeoirs naturels s'élevant jusqu'à douze mètres au-dessus de la mer.
Des jeunes désœuvrés, délaissés par des parents dépassés ou indifférents, qui feignent la désinvolture, roulent des mécaniques pour se donner l'illusion d'être les plus forts, les plus cools, et qui, brossés par la plume à la fois poétique et brutale de Maylis de Kérangal, acquièrent une étrange beauté, un esthétisme qui met en avant la fougue et le courage, et parent les personnages d'un héroïsme qui peut sembler un peu factice, car caricatural.
Face à la flamboyance de ces adolescents, la lassitude de Sylvestre Opéra, que sa fonction désigne comme leur ennemi, mais qui a lui-même connu trop de fêlures pour être vraiment méchant. Ce colosse diabétique, à la fois imposant et fragile, envierait même leur périlleuse insouciance, mais son statut de Directeur de la Sécurité du littoral, ainsi que la pression des autorités, qui veut mater à tout prix cette jeunesse perdue et barbare, l'oblige à prendre des mesures répressives.
Le combat opposant la bande de La Plate aux forces de l'ordre devient l'affaire de l'été, un jeu auquel se prend la population des bistrots, les "pro-plongeurs" pariant contre les anti sur l'issue, qui ne peut qu'être funeste, de cet affrontement.
J'ai préféré "Naissance d'un pont", de la même auteure, que j'ai trouvé plus abouti, plus dense, plus subtil dans le traitement des personnages. Il a d'ailleurs été écrit deux ans après "Corniche Kennedy".
Mais j'ai tout de même apprécié la lecture de ce roman, en grande partie grâce à la beauté de son écriture.
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