[Tonnerre de bulles ! 2, Walthéry ; Di Sano | Yannick Bonnant]
François Walthéry a connu le succès avec Natacha, la gironde hôtesse de l’air. L’entretien réalisé entre amis pour « Tonnerre de bulles ! » cherche à sortir de l’ordinaire mais ne casse pas la baraque à frites ni l’ornière des questions formatées. Walthéry sait aussi manier le calembour bien pesant. Il n’est pas dépaysé avec les bulles de béton du fanzine. Du studio Peyo en compagnie de Wasterlain et Desorgher, Walthéry fait ses armes puis prend son essor mais la collaboration avec le père des Schtroumphs aura duré vingt-neuf ans. Bien que Walthéry sache pincer la taille des femmes, remplir avantageusement leur corsage et ourler délicatement leurs lèvres boudeuses, le lecteur ressort de l’entretien sans désir pour l’œuvre du dessinateur belge, sans animosité non plus. Walthéry doit être un bon poteau pour écluser des bières et sortir des blagues françaises, à Ligugé ou à Cheratte mais je ne prendrai pas l’avion ni avec lui ni avec son personnage de papier, encore moins avec son interviewer. Chacun ses tripes et ses voyages ! C’est dommage car le dessinateur doit être doté d’une grande culture qui ne transparaît nullement dans la discussion. L’entretien qui suit est d’un autre calibre. Max de Radiguès répond sans détour aux questions simples mais justes de Philippe Gorgeot. Alors que son dessin n’est pas convaincant à première vue avec un trait d’apparence malhabile et bâclé, pauvre, un cadrage basique et répétitif, le lecteur a envie d’en savoir plus sur un créateur qui se pose de bonnes questions sur son art et son expressivité, sur l’intérêt du fanzinat permettant de travailler vite et sans contrainte éditoriale, sur la simplification du trait et de la couleur au service d’une lisibilité immédiate et sur un cadrage plat et invisible afin de toujours « mieux raconter ». C’est étonnant d’entendre un dessinateur parler de sa difficulté à travailler les masses et les ombres et de réfléchir en « trait ». L’auteur a aussi su cerner son créneau en parlant dans ses bédés des adolescents autrement qu’en fainéants sales, pas drôles et parfois méchants. Selon lui, chez l’ado, « la moindre chose prend de l’importance » ; il « s’intéresse et croit en plein de choses où se mélangent des envies d’enfant et d’adulte ». Sans aucune forfanterie, le jeune auteur belge parle de sa tentative à tracer sa propre route en sachant y reconnaître les balises laissées par les grands anciens que sont Hergé ou Franquin. Son travail seul ou en groupe, ses animations d’atelier ouvrent sur des remises en question, des découvertes et des progrès techniques. Ses propos sur l’apprentissage à tout âge de la bédé évacuent les idées préconçues sur l’art et le don inné.
Tête bêche, Bruno Di Sano complète le fanzine par une brève discussion, relatant son parcours atypique avec un grand saut tardif dans le monde de la bédé et finissant par percer grâce à des planches polissonnes. Il faut avouer qu’il sait bien cambrer et mouler Rubine, femme flic de choc et de charme dans la continuité de la série éponyme créée par Mythic et Walthéry. Alors qu’un éditeur exige des ventes à partir de 12 000 exemplaires, la série Rubine plafonnant à 8 000 a été arrêtée par manque de rentabilité. Quatre pages sont ensuite consacrées à Daniel Desorgher, dessinateur de Jimmy Tousseul sur des scénarios de Stephen Desberg. Rien à signaler hormis ses pins up aguichantes. L’étonnement provient surtout des trois pages suivantes relatant les performances de body-painting du couple Sylvain Paris et Stéphanie Essayan. On ne sait pas si sous le lard le cochon sommeille ou plutôt que signifie une « expression primitive [qui est] une forme d’expression dansée dynamique et festive basée sur la pulsation qui allie la voix à un geste rythmé, déconstruit et simplifié de manière à obtenir un mouvement archétypal et stylisé ». Sur la photographie jointe au Who’s who, les deux artisses sont à ouelpé, lui dissimulé derrière un masque d’éléphant, elle juchée par-dessus lui, le corps amplement peint. A première vue, la pose est pour le moins ridicule, voire grotesque et la bédé semble bien éloignée du concept in progress. Pourtant, là encore et contre toute attente, la curiosité et l’intérêt du lecteur sont piqués et tenus. Enfin, le fanzine se termine par un entretien très intéressant avec Laurent Lefeuvre, pasticheur inspiré des illustrés d’antan. Le lecteur nostalgique a fortement envie d’en savoir plus sur les éditions ROA (tiré du nom breton Roazhon pour Rennes, la ville d’attache de Lefeuvre comme un clin d’œil aux éditions LUG sises à Lyon, auparavant Lugdunum, spécialisées dans les petits formats noir & blanc très bon marché).
Trois ex-libris complètent l’envoi du n° 2 de Tonnerre de bulles ! Bien fourni en publicité, le fanzine présente souvent les affiches des festivals de bédé à venir. L’illustration en quadrichromie d’Emmanuel Lepage pour le 5e festival Bulles à croquer les 8 et 9 juin 2013 à Saint-Brieuc est un enchantement visuel.
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