« […] Ike Tucker était en train d’ajuster la chaîne de la Knuckle. » Dès la première phrase, les sonorités évoquent l’engrenage mécanique par lequel le jeune homme va être happé depuis la ville, le surf, l’amitié jusqu’à l’enfer du décor, derrière la surface lisse de la vague et des convenances. Aux portes du désert californien, à San Arco, Ike vit chez son oncle Gordon et ne connaît rien au monde, à la vie. Lorsqu’un inconnu vient lui délivrer d’inquiétantes nouvelles de sa sœur Ellen qui ne donne plus signe de vie depuis deux ans, Ike sait qu’il doit tenter quelque chose pour découvrir la vérité mais ses moyens modestes, ses absences de relation ne vont pas l’aider à s’immiscer dans le cercle fermé des surfeurs d’Huntington Beach. Pourtant, si Ike veut en savoir plus, il lui faudra entrer en contact avec de drôles de baraques, d’anciens athlètes aussi hermétiques qu’énigmatiques, fermés sur leur passé et leur gloire défuntes, avec beaucoup de rancœur accumulée, prompts à laisser éclater une violence extrême. Ike Tucker est jeune et dispose de l’allant nécessaire pour se lancer dans une entreprise impossible : devenir un surfeur respectable aux yeux blasés des anciens, ceux qui ont connu Ellen et savent où elle est. Ike va boire la tasse, se faire molester mais la tête sous l’eau, il va ramer, lutter et progresser. Son coup de chance et de génie va consister à réparer la Harley d’une ancienne gloire du surf, Preston, bloc de muscles, de cicatrices et d’amertume. Le prenant sous sa coupe et retrouvant une fraîcheur à travers l’apprentissage du jeune homme, Preston va le mettre sur la voie mais il y a le passé et l’ancien comparse de Preston, Hound Adams, « grave et rusé », va attirer Ike sur la pente fatale.
Le premier roman de Kem Nunn relate l’apprentissage d’un jeune homme, loin de tout moralisme ainsi qu'une enquête quasi policière afin d'élucider la disparition d'une sœur aimée. Le pire est à imaginer mais la réalité décrite est encore plus grand-guignolesque notamment lors du dénouement avec l’apparition de Preston en ange exterminateur. Le plaisir de la lecture provient en grande partie des descriptions de la vague, du tube et de l’envol des hommes sur leurs planches, le corps à corps puis la compréhension et la fusion de l’homme dans l’élément : « La mer était sombre et tout autour de lui des rubans de lumière scintillaient puis s’évanouissaient comme des bancs de poissons. A l’horizon le soleil avait commencé à fondre, rouge au-dessus d’une mer pourpre. La marée était basse et les vagues dirigeaient leurs faces noires vers le rivage tandis que des traînées de brouillard s’élevaient de leur crête déchiquetée en de minces arcs dorés qui montaient dans le ciel, s’étiraient puis retombaient dans la mer, éparpillant leur lumière sur la surface comme des flammèches. Il y avait une qualité cyclique dans tout cela, dans les jeux de lumière et le mouvement de la houle. C’était un moment incroyable et Ike se sentit soudain en prise avec tout ce qui l’entourait, sentit qu’il en faisait partie de façon quasiment organique. Ce sentiment lui fit prendre conscience d’une nouvelle gamme de potentialités, d’un nouveau rythme… ».
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