Sans doute est-il plus facile d'apprécier un roman qui exprime les idées, les valeurs qui sont les nôtres.
Lorsque le propos d'un texte nous irrite, nous dégoûte, jusqu'à quel point sommes-nous capables d'apprécier par ailleurs son style, la beauté de son écriture ?
Telles sont les questions que je me posais avant d'entamer la lecture du roman de Gabriel Matzneff, dont je connaissais vaguement le sujet... et telles sont les questions que je continue de me poser, cette lecture maintenant achevée.
Nil Kolytcheff, narrateur d' "Ivre du vin perdu", est, ainsi que certains détails de sa vie nous le font rapidement deviner, un double de l'auteur. Dans ce récit composé d'allers retours entre présent et passé, il relate les turpitudes de sa vie amoureuse, pour en revenir obstinément à celle pour laquelle il éprouve une véritable obsession : Angiolina.
Sa relation avec elle a pris fin quelques années auparavant, et nous découvrons, au fil de ses souvenirs, de la lecture de certains passages de son journal écrits au moment de cette liaison, qu'elle fut passionnée et orageuse.
Vous vous demandez probablement quel est le rapport entre "Ivre du vin perdu" et le préambule à cette note de lecture...
Précisons que les petites amoureuses de Nil -y compris Angiolina lorsqu'il l'a connue- sont des lycéennes, notre narrateur (lui-même quadragénaire) préférant la chair fraîche. Ceci dit, là n'est pas la raison du dégoût que j'ai parfois éprouvé lors de cette lecture. Dans le récit, ces adolescentes sont toutes consentantes, et visiblement assez intelligentes pour savoir ce qu'elles font, ce que je peux, à la rigueur, concevoir. Non, là où j'ai eu davantage de mal, c'est lors de la description des séjours que Nil et son ami Rodin organisent régulièrement dans certains pays du tiers-monde, où il peuvent assouvir en toute impunité leur goût pour la chair carrément enfantine.
Et lorsque l'auteur semble prétendre que les gamins, filles et garçons, qui se prostituent, y prennent du plaisir...
... lorsque Rodin pérore sur les mérites du "trou du cul" selon l'âge de l'enfant...
... lorsque ces deux compères s'indignent du vote par l'Assemblée de la loi punissant le tourisme sexuel, s'estimant victimes d'une société occidentale réactionnaire...
C'en est trop pour moi !
Il serait néanmoins malhonnête de ma part de vous laisser croire que ce roman est une apologie de la pédophilie, ou une justification des mœurs déviantes d'un pervers sur le retour...
"Ivre du vin perdu" est aussi un roman superbement écrit, dans lequel Gabriel Matzneff évoque avec force et poésie l'angoisse du temps qui passe, la fuite de ce que la jeunesse symbolise à ses yeux : la vulnérabilité et la passion, la candeur et la spontanéité...
Les tourments de Nil, hanté par une Angiolina dont la perte lui fait mesurer le caractère vain et éphémère de nos aspirations, sont dépeints avec une justesse qui nous fait appréhender, dans toute son ampleur, la complexité du personnage et de ses émotions.
Malgré ces qualités, je dois avouer que les images de certaines scènes qui ont provoquées chez moi un sentiment de répulsion se superposent au souvenir des très beaux passages dont nous gratifie l'auteur.
Et c'est dommage, parce que, si je reste objective, les seconds sont beaucoup plus nombreux que les premières...
Mais quand le cœur et le ventre s'expriment plus fort que la tête, il faut croire qu'ils peuvent nous empêcher d'apprécier une œuvre à sa juste valeur.
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