[L’escroquerie nucléaire : 70 ans de rayonnement atomique en France | Fabrice Nicolino]
Charlie Hebdo sort un septième hors-série consacré cette fois-ci au nucléaire français, une « industrie de la terreur ». Fabrice Nicolino est aux manettes et ça défouraille dans tous les coins. Impossible de se voiler la face ou de se cacher dans les cuves ; elles sont fissurées, menacent ruine et calamités ! Le lecteur au parfum reconstruit le puzzle parcellaire des informations disséminées, tronquées, controversées, tailladées par les lobbys et les médias sous influence. Il en apprend de belles au passage. L’anecdote est souvent troublante à l’exemple des ouvrières de l’usine Bayard (aujourd’hui désaffectée mais non décontaminée) « qui se peignaient les dents au radium, en faisant peur à leurs copines dans la pénombre des vestiaires. » Ma doué ! Les gourdasses ! Les dents m’en tombent ! Le radium est terriblement nocif pendant plusieurs siècles ; la vie n’a qu’un temps et elle ne saurait reprendre le dessus dans les mêmes dispositions, mutation génétique oblige ! Chaque article du hors-série est une mine où puiser sans crainte. Aucun thème n’est éludé : les déchets éternellement mortifères (plus d’un million de mètres cubes aujourd’hui enfouis, le double dans vingt ans) ; les mensonges perpétrés (Pierre Pellerin, nucléocrate patenté à la solde du lobby dira que Tchernobyl ne représente « aucun inconvénient pour la santé publique ») ; les « soutiers de l’atome » (les sous-traitants qui vont au contact des radiations), etc. Les illustrations en couleur sont toutes fameuses et sont l’œuvre de dessinateurs exceptionnels comme Riss, Tignous, Luz ou Charb. On ne peut que sourire jaune à l’exemple de l’image de couverture. Les portraits en marge sont éloquents. De sombres oubliés émergent tel le polytechnicien Pierre Guillaumat, patron tentaculaire du CEA, d’EDF, d’ELF qui aura su se faire extorquer un milliard de francs en 1980 par un simple paysan italien Bonassoli et un Belge, aristocrate appauvri, De Villegas qui avaient soi-disant mis au point un système révolutionnaire afin de détecter les gisements pétroliers du haut d’un avion, forcément renifleur l’avion, voire sniffeur. Pierre Fournier, journaliste et dessinateur, créateur de La Gueule ouverte, a aussi droit à son exhumation grâce à un portrait bienvenu et ses propos rapportés n’ont pas pris une ride. Ils restent révolutionnaires et férocement drôles : « Je prêche la subversion à la base, la subversion par le mode de vie, le désengagement, le boycott intégral, la grève totale, la non-participation ». D’autres portraits bien sentis enrichissent le dossier. Dans son éditorial, Fabrice Nicolino l’écrit sans barguigner : « Il n’y a pas de compromis possible avec le nucléaire. Demander moins de nucléaire, c’est réclamer de moins mourir ». Idéologiquement, cela se tient plutôt bien. Une utile bibliographie triée sur le volet complète le numéro i(r)onisant de Charlie, ludique, pédagogique et dramatiquement drôle.
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