Si l'achevé d'imprimer de ce livre est d'octobre 2001, il s'agit en fait de la traduction française d'un livre publié en anglais en 2000, donc antérieur aux attentats du 11 septembre. Son auteur est un journaliste pakistanais vivant à Lahore qui écrit pour des journaux pakistanais et pour des revues spécialisées occidentales. « Taliban : Islam, Oil, and the New Great Game in Central Asia », son titre anglais, plus austère, est pourtant plus explicite que le titre français quant à son sujet.
En introduction, Ahmed Rachid évoque brièvement la géographie de l'Afghanistan. Il est en effet utile de prendre conscience de ce que l'Afghanistan est enclavé entre l'URSS (jusqu'en 1991, aujourd'hui le Turkménistan, l'Ouzbekistan et le Tadjikistan), l'Iran et le Pakistan. Ahmed Rachid décrit également une diversité ethnique qui instaure une continuité de langue, de religion ou d'origine entre des peuples afghans et des peuples des Etats voisins. Il retrace aussi brièvement l'histoire de l'Afghanistan, notant pour la période postérieure à 1919 : « … L'assassinat de deux rois afghans et les révoltes tribales endémiques illustrent cependant la difficulté de transformer une société ethnique et tribale en un Etat moderne... »
De fait, si les Soviétiques intervinrent militairement en Afghanistan, c'était pour soutenir un gouvernement instauré par des sympathisants marxistes au sein de l'armée, formés en Union soviétique, mais qui, selon Ahmed Rachid, « … méconnaissaient totalement la complexité de la société tribale afghane et durent affronter des révoltes paysannes généralisées. Mollahs et khans lancèrent la guerre sainte, ou djihad [d'où la désignation des combattants comme moujahidin, deux mots de la même famille reconnaissable à sa racine consonantique jhd], contre les infidèles communistes... » La guerre se poursuivit après le retrait des soviétiques jusqu'à la chute du régime et la prise de Kaboul en 1992. « … La guerre civile qui suivit fut en grande partie déterminée par le fait que Kaboul tomba non aux mains des factions pachtounes basées à Peshawar, bien armées mais rivales, mais entre celles des factions tadjiks de Burhanuddin Rabbani et de son chef militaire Ahmad Shah Massoud, alliées aux forces des Ouzbeks du nord du général Rachid Dostom... L'Afghanistan était près de se désintégrer avant l'arrivée des taliban, fin 1994. Le pays était divisé en fiefs dépendant de seigneurs de la guerre... »
Le mouvement des taliban fut créé par un petit groupe de mollahs qui se connaissaient tous, car tous originaires de la province de l'Urozgan, (même si certains avaient combattu dans des partis moudjahidin différents), les mollahs Omar, Ghaus, Mohammed Rabbani, Hassan. Ahmed Rachid décrit ainsi leurs futures troupes : « ...Beaucoup, nés dans les camps de réfugiés du Pakistan, avaient étudié dans les madrasas pakistanaises et appris l'art du combat auprès de groupes moudjahidin basés au Pakistan. Les jeunes talibans connaissaient à peine leur histoire et leur propre pays, mais les madrasas leur avait rendu familière la société islamique idéale créée par le prophète Mahomet il y a mille quatre cents ans, celle qu'ils voulaient imiter... »
A ce moment, « … La politique étrangère du Pakistan en Afghanistan était dans l'impasse. Depuis l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, les gouvernements pakistanais successifs cherchaient désespérément à ouvrir des voies terrestres directes pour commercer avec les Républiques d'Asie centrale. Le principal obstacle était la guerre civile qui s'éternisait en Afghanistan, passage obligatoire de toute route... » C'est ainsi que le Pakistan s'appuya sur les talibans, qui conquirent en quelques semaines la deuxième ville d'Afghanistan, Kandahar, en ne perdant qu'une dizaine d'hommes. Ahmed Rachid raconte par le menu leur progressive conquête du reste de l'Afghanistan. Lorsque ce livre a été publié, Massoud avait été repoussé jusqu'aux frontières du Badakhstan, dernière province qu'il tenait encore.
Ahmed Rachid décrit ensuite l'islam traditionnel de l'Afghanistan, l'éventail d'idées et de mouvements islamiques qui y sont apparus entre 1979 et 1994. Il caractérise l'idéologie des talibans comme une forme extrême du déobandisme (de Déoband, ville proche de Delhi) prêché par les partis islamiques pakistanais dans les camps de réfugiés au Pakistan. Il analyse ensuite l'organisation (très particulière) civile et militaire des talibans, évoque la condition féminine, le sort des enfants et de la culture. Il indique l'acceptation par les talibans de la production et de la commercialisation de la drogue pour les ressources financières qu'ils en retirent, le peu d'intérêt de la plupart d'entre eux pour les questions économiques. Il décrit le soutien apporté par le Pakistan, l'Arabie saoudite et l'administration des Etats-Unis à la venue de quelque 35 000 extrémistes musulmans issus de 43 pays islamiques pour participer au djihad entre 1982 et 1992, et parmi eux de Ben Laden, dont il détaille les activités.
Le nouveau Grand Jeu dont il est question ensuite fait référence à la lutte d'influence entre la Grande-Bretagne et la Russie dans cette région dès le XIXe siècle. Ce nouveau Grand Jeu se joue entre la Russie, les Etats-Unis, l'Iran, la Turquie, le Pakistan et la Chine autour de l'acheminement du pétrole des républiques d'Asie centrale. J'ai découvert à cette occasion l'existence d'une politique panturque de la Turquie depuis 1991, avec la perspective donc, si la Turquie entre dans l'Europe, de voir l'Europe impliquée dans les affaires des Républiques d'Asie centrale et en conséquence une augmentation du risque de conflit avec la Russie.
Ahmed Rachid analyse les relations entre les talibans et le Pakistan, les jeux complexes et changeants de l'Iran et de l'Arabie saoudite et il conclut (au cours de l'année 2000, ne l'oublions pas) : « … Si la guerre en Afghanistan continue à être négligée, il faut s'attendre au pire. Le Pakistan subira une révolution islamique comparable à celle des talibans, qui achèvera de déstabiliser le pays et toute cette partie du monde. L'Iran restera à la périphérie de la communauté mondiale et ses frontières orientales continueront à être en proie à l'instabilité. Les Etats d'Asie centrale seront incapables d'exporter leur énergie par les voies les plus directes ; leurs économies s'effondreront et ils affronteront des soulèvements islamiques. La Russie continuera à vouloir établir son hégémonie en Asie centrale alors que sa société et son économie s'effondrent... » On voit que, douze ans après, ces dangers sont loin d'être écartés.
De mon côté, en guise de conclusion également, je dirai que la fine description par Ahmed Rachid de l'organisation (de l'inorganisation?) du régime des talibans montre bien ce qui fait le fond de l'islamisme politique : croire qu'une sévère police des mœurs est la condition nécessaire et suffisante pour qu'Allah pourvoie à tout le reste.
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