Ce livre est un de ceux qui m'a le plus marqué, le plus parlé... Tombé au bon moment sans doute! Il me semble impératif que tout chrétien le lise. Puis que ceux qui se questionnent sur la foi le lisent aussi (même si les uns et les autres ne sont pas d'accord avec Jacques Ellul, ce qu'il dit ici est tellement clair et tellement juste qu'il permet de penser ce que sont la foi et la croyance).
Le livre se divise en plusieurs parties.
1 - Une introduction, rien de bien original
2 - Nouveau colloque de Monos et Una
Ellul reprend le style et la forme du colloque de Mons et Una d'Edgar Allan Poe et fait dialoguer ces deux personnages sur le thème de la foi et de la croyance. Petit exercice de style intéressant, dans lequel on peut imaginer que deux parties de l'auteur discutent (et se disputent). Peut-être sa "part masculine" et sa "part féminine"? Ou sa part sensible et sa part scientifique? J'en sais fichtre rien. En tout cas, là-dedans, j'ai reconnu beaucoup de mes préoccupations et de mes paradoxes.
3- La croyance et la foi
Ellul reprend de manière magistrale ce qu'est la foi, ce qu'est la croyance, les différences et les confusions à leur sujet. Un condensé d'intelligence qui permet(trait) aux uns et aux autres de ne pas tout mélanger, et surtout aux uns (je pense aux chrétiens) d'être vigilants dans leurs actes, qui bien souvent transforment la foi en croyance...
4 - "Encore quarante jours..." dit Jonas
Plaidoyer pour une foi vivante et active (et intelligente!!!) dans un monde qui va s'auto-détruire... Brillant et bouleversant, j'ai pas aimé lire ce que j'y ai lu parce que c'est le genre de lectures qui donne le cafard... Mais c'est cette prise de conscience désespérée qui pousse à une action décisive, indispensable, mais sans illusion.
5 - Colloque entre Monos et Una
Reproduction du dialogue original d'Edgar Allan Poe.
En cadeau, je vous retranscris un extrait.
"Car la foi est un décapant terrible. Un acide radical. Elle conduit à passer à l'épreuve tout ce qui constitue ma vie et ma société. Rien ne peut être préservé, mis à part, à l'abri. Elle conduit inéluctablement à s'interroger sur toutes les certitudes, toutes les morales, toutes les croyances, toutes les politiques. Elle interdit d'attacher croyance et sérieux dernier à toute expression de l'activité humaine. Elle nous détache, nous délie de l'argent et de la famille, du métier et de la connaissance... C'est elle qui nous conduit le plus sûrement au « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien. » La foi, non point parce qu'elle est remise joyeuse, confiante (et un peu simpliste!) entre les mains de Jésus, mais parce qu'elle est prise de conscience de la foi elle-même, ne laisse rien intact. J'ai parlé de situer ma foi par rapport à celle de Jésus. On sait que restant à juste titre sur le plan humain, Kierkegaard, toujours lui, mesurait la distance entre sa foi et celle d'Abraham. Et si la foi n'est pas celle d'Abraham, elle n'est rien. Rien de moins que cela. Et la foi me conduit inévitablement à cette rencontre-là, cette mesure. Si ce n'est pas cette foi, il n'y a rien. Et tout ce que la foi peut alors me conduire à reconnaître, c'est mon impuissance, mon incapacité, mon insuffisance, mon incomplétude, et par conséquent mon incrédulité (car, bien sûr, la foi est la plus sûre destructrice de toutes les croyances!). Mais c'est justement en cela qu'elle est la foi, c'est sur ce mode-là qu'elle existe et me forme. Et, dans cette mesure même, la croyance rassure. L'homme qui vit dans la croyance se sent à l'abri, Dieu lui est un protecteur et un garant. La foi au contraire nous place constamment sur le fil du rasoir. Parce qu'elle ne minimise pas la puissance de Dieu tout en sachant qu'il est le Père, elle saisit l'homme de crainte et même de peur. Tout à fait significatif le récit de la tempête apaisée : les disciples dans la barque, qui vivent bien leur foi dans leur ami et maître Jésus, passent de la peur qu'ils avaient de la tempête, à la frayeur, nous dit Marc, lorsque la tempête a été apaisée par une simple parole de Jésus. Frayeur de rencontrer en action et si proche la puissance de Dieu. « Qui donc est celui-là qui commande même aux vents et à la mer? » Ça, c'est la question de la foi. Pour la croyance, les choses sont simples. Dieu est tout-puissant, donc c'est normal qu'il fasse cela. Mais sitôt que l'on normalise Dieu, la relation est fausse. Sitôt que la puissance de Dieu nous paraît habituelle, c'est la croyance qui nous trompe. La foi sait mesurer l'incommensurable distance, donc le caractère terrible et indicible du Dieu vivant. Aucune familiarité possible avec ce Dieu. Cependant, en même temps, c'est la foi qui permet de crier « Abba » « Père » (et Jésus est celui qui donne en effet la paix et la joie). Les deux ne sont pas contradictoires, mais constituent la trame et la chaîne du tissu vivant de la foi. Ainsi le doute et la crainte font partie intégrante de la foi. Encore faut-il s'entendre, ce n'est pas le doute concernant la révélation de Dieu, ou l'amour de Dieu, ou la présence de Jésus-Christ, mais le doute sur moi-même. Donc exactement le contraire de la croyance! Le doute sur l'efficacité, même la légitimité de ce que je fais, ce à quoi j'obéis, dans mon Église ou dans ma société. Et même plus, elle est épreuve d'elle-même. Si je discerne le mouvement de la foi en moi, la première exigence est précisément de ne pas m'abuser, de ne pas me laisser aller à n'importe quelle croyance, donc je dois rigoureusement faire la critique de ce que je crois. Écouter toutes les négations, tous les assauts, pour savoir si ce en quoi j'ai foi tient.
La foi ne supporte pas les demi-vérités, les demi-certitudes. Et c'est pourquoi, elle m'amène sans cesse dans la position de l'Autre qui récuse et renie cette foi. Tarabiscotage d'intellectuel? Mauvaise conscience ou scrupule? Que non pas! Seule et exclusive démarche de la foi qui ne peut que se référer à la foi d'Abraham. Tout ou Rien. Mais ce Tout m'oblige à me constater Rien, et c'est en ce faisant que je reçois en effet le Tout. Dès lors, cette foi intégrant sans cesse le doute, est forcément ouverte! Qui condamnerait-elle? C'est lorsque les hommes justes qui s'apprêtaient à lapider la femme adultère laissent tomber leur pierre et s'en vont pensifs, c'est à ce moment-là qu'ils accèdent à la foi, et qu'ils accomplissent la loi vivante. Comment pourrais-je juger l'incroyant, quand je suis moi-même cet incroyant, quand ma foi me convainc de mon incroyance? Comment pourrai-je juger cet hérétique quand ma foi me montre les chemins divers qui ont pu me mener à Jésus-Christ? Comment pourrai-je tracer des limites, en deçà de la foi, au-delà de la damnation, quand la foi me montre ce Dieu de Jésus-Christ excédant toutes les limites et choisissant partout celui, ceux qu'il appelle à la foi! Mais cela ne veut en rien dire que j'accepte n'importe quoi, ou que tout soit possible. Cette foi qui me jauge et me délimite, moi, me conduit, moi, à certains actes, porte certains fruits, et s'ils sont vraiment ceux de la foi, ils seront exemplaires, et cela pourra servir de signe et de vérité pour d'autres. Mais plus ma foi est sûre, plus je remets mon incrédulité entre les mains du Seigneur, plus grande est ma certitude, et en même temps plus je reste ouvert aux autres, plus j'accepte la diversité des êtres et des choses, des Églises, des poèmes, des idées, des conduites, et plus je suis en adoration devant une si merveilleuse création en même temps qu'une si merveilleuse patience de Dieu. Parce que l'a foi m'a fait reconnaître la distance entre ma foi et celle du Seigneur, je ne puis que, me mettant au range et avec les autres, discerner que nous sommes tous au bénéfice, au seul et unique bénéfice de la grâce éternelle.''
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