Après une courte préface éclairante sur la vie et l’œuvre de Jacques Delamain, signée Olivier Frébourg, directeur des éditions des Equateurs, sises à Sainte-Marguerite-sur-Mer, à quelques encablures de Dieppe, avec les falaises d’albâtre sous le pied, à la verticale et la mer, en avant, superbe couloir migratoire naturel, le texte déjà ancien (1930) de l’ornithologue Jacques Delamain entre d’emblée dans le vif du paysage à travers son avifaune alors même que ses terres d’exploration sont charentaises. Une même façade atlantique sur un socle calcaire similaire restitue toutefois une connivence de milieux et d’ambiance. L’auteur entretient depuis longtemps un attachement aux oiseaux et ses descriptions précises sentent les observations de terrain minutieusement répétées et disséquées. Le premier chapitre donne son titre au recueil. Il ne répond à aucune question mais dresse un catalogue des chants à saisir dans l’avancée des jours et des saisons. L’approche régulière des oiseaux autorise une proximité et une familiarité empreinte de retenue. Par ses cris et ses chants habilement transcrits (« […] une sonnerie de perles de verre entrechoquées signale, dans le noyer, la troupe des Proyers immobiles… » ; « Les trois coups précis, sonores et comme martelés sur une claire enclume, de la Grande Charbonnière… »), le volatile se singularise sous la plume de l’auteur alors que sa vie s’entraperçoit fugitivement, fragmentaire mais essentielle. Bien sûr, Jacques Delamain ne peut s’empêcher d’anthropomorphiser et de prêter maladroitement des comportements humains aux oiseaux : « […] comme les mésanges… [Chez qui] l’intimité, la tendresse lient déjà les époux » mais ses cogitations buissonnières sont souvent intéressantes, porteuses d’ouverture, hors des passages obligés de la science, à l’exemple du raffinement des chants : « Pour saisir l’évolution ascendante du chant depuis le cri primitif, il faut suivre la série des habitats de l’oiseau à travers les âges, passer de l’océan, berceau de toute vie, au limon des estuaires, au lac d’eau douce, puis à la végétation des plaines, enfin à la forêt. La mer n’a pas un chanteur : son étendue, le bruit de sa houle, la dure existence qu’elle impose aux êtres étouffent l’effort d’art et ne permettent que le cri des Goélands, l’appel rauque des Guillemots, des Pétrels, des Pingouins. » Le journal naturaliste s’épuise toutefois assez rapidement dans les chapitres suivants, « Amitiés, haines » puis « Les noces » car l’anthropomorphisme s’exacerbe et devient pesant et ridicule. On peut y lire : « Le mâle a paradé devant sa femelle… Alors, un matin, elle frémit des ailes, l’appelant à petits cris aigus. […] Les époux connaissent la montée du désir, puis la satiété passagère, les querelles futiles, le calme consentement des êtres qui accomplissent leur destinée dans la nature propice. […] sa compagne sent la vie s’éveiller dans ces œufs contre lesquels elle presse sa poitrine. » Si l’amour des oiseaux est un cautère émollient pour l’auteur, il y sombre et dévoile un faisceau d’a priori erronés et bouffons. Heureusement, le chapitre suivant, « La ronde des mésanges » reprend la flamberge laissée à rouiller. L’automne y est décrit par le menu et le lecteur retrouve le charme désuet des descriptions naturalistes ancrées dans la réalité enchantée du quotidien : « Octobre a déjà teinté de jaune les cimes des peupliers, plaqué de l’or, par taches, sur le feuillage vert sombre des ormes, pointillé de roux, ça et là, les chênes en bordure du bois ». On ne sait plus comment l’orme prend ses teintes en automne puisque la maladie l’a éradiqué du paysage mais les couleurs sont données justement selon les rythmes propres à chaque arbre. Le dernier chapitre du premier livre, « La migration d’automne » décolle tant les observations naturalistes fécondent les zones d’incompréhension, encore obscures aujourd’hui mais constamment fascinantes : « De l’été à l’hiver, nuit et jour, par temps favorable, des milliers d’ailes traversent le ciel, souvent hors de vue, frisent la cime des arbres, frôlent les buissons et les haies ou rasent la surface des mers. » Le second livre, « Le journal de guerre d’un ornithologue » dresse une recension des chants d’oiseaux indépendamment du fracas des obus. Le Première Guerre mondiale n’apparaît qu’en toile de fond, dans l’enfer du décor : « Un 77 allemand tombe à une cinquantaine de mètres du bureau. Un merle chante dans le lointain. Un hypolaïs polyglotte chante sous le départ des coups de 90. » La litanie des noms d’oiseaux finit par anesthésier le lecteur qui s’arme de patience pour gagner sa petite guerre contre l’ennui. Un premier missile ébranle de rire le lecteur. Parlant des amours pigeonnants (colombes et ramiers), l’auteur écrit : « Ces vols nuptiaux des doux colombins sont étranges ». L’accouplement des escargots de Bourgogne réveille ensuite tout à fait : « Les tentacules s’allongent puis se rétractent, les bouches ont l’air de se chercher puis s’appliquent sur les côtés du corps, remontant encore pour se réunir. […] Les « caresses » continuent exactement les mêmes, plus étroites et persistantes du côté des bouches. […] Brusquement, un liquide opalin vient gonfler, à la même seconde, les deux bourgeonnements. » La volupté gluante des gastéropodes semblent plus raffinée pour Jacques Delamain que les « ruts brutaux » « des êtres d’organisation supérieure ». Finalement, il faut déchiffrer le langage codé pour y sentir l’esquisse d’une critique de la gent humaine.
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