Hubert Gagneur est un mulâtre (1) guadeloupéen à qui son béké (2) de père a légué "L'Engoulvent", domaine isolé, prétentieux mais décrépit et battu par les vents. Depuis le décès de son épouse, il élève seul ses deux enfants, Justin et Cathy.
De retour d'une visite en ville, il ramène un jour un petit garçon trouvé dans les roseaux, noir comme l'ébène, qu'il prénomme Razyé.
Il se passionne rapidement pour le jeune orphelin, dont la vivacité le fascine, et avec lequel il passe beaucoup de temps. Inévitablement, Justin devient jaloux de l'attention que Razyé suscite chez son père, d'autant plus que ce dernier a également noué avec Cathy une relation fusionnelle et trouble dont il est exclus.
Quelques années plus tard, à la mort d'Hubert, Justin fait payer à Razyé l'indifférence qu'il a subie. Il le chasse de l'Engoulvent, puis, ayant pris soin d'acquérir un minimum d'instruction, il épouse Marie-France, une béké dont les parents ont accepté cette union en sachant que la jeune femme, gravement malade, ne vivra pas longtemps.
Quant à Cathy, elle fait la connaissance d'Aymeric, cousin de sa récente belle-sœur, qui, séduit par la beauté sauvage et la spontanéité de la jeune Gagneur, la demande en mariage, avec succès.
Fou de jalousie, anéanti par la trahison de celle qu'il considère comme son âme sœur, Razyé fuit la Guadeloupe, au grand désespoir de Cathy...
Si cette histoire vous semble familière, c'est normal...
Oui, Maryse Condé s'est bien inspirée du célèbre roman d'Emily Brontë, "Les Hauts de Hurlevent", pour écrire "La migration des cœurs". Son récit n'en est pas pour autant une pâle copie ou un vulgaire plagiat, mais bien une œuvre à part entière, avec son caractère propre.
En transposant l'histoire inventée par Emily Brontë dans les Caraïbes de la fin du XIXème, début du XXème siècle, elle la colore d'un contexte bien particulier.
L'abolition de l'esclavage est encore trop récente pour que la condition des noirs, misérables et souvent illettrés, ait véritablement évolué. Cantonnés aux métiers pénibles, ils sont toujours au service de blancs qui possèdent la plupart des terres et des usines caribéennes. C'est pourquoi la révolte gronde, la cause noire et la cause ouvrière se mêlant avec l'émergence des mouvements syndicaux.
Le racisme est omniprésent, les différentes communautés -noire, blanche, et indienne, notamment- limitent les contacts au strict minimum, qui va de la nécessité pour certains colons à assouvir des besoins sexuels que leurs épouses légitimes sont incapables d'étancher, au recrutement de main d’œuvre à bas prix pour travailler dans les champs de cannes ou de tabac...
Ce qui fait aussi la particularité du roman de Maryse Condé, c'est son atmosphère, à la fois sensuelle et vénéneuse. L'environnement naturel, tantôt exubérant et généreux, tantôt violent et mortel, y participe pour beaucoup, mais il n'est pas le seul. La culture caribéenne, dont les traditions se nourrissent des apports des populations multiples et variées qui y vivent ou y ont vécu, où sorcellerie et superstition chrétienne parviennent à faire bon ménage, nourrit aussi l'ambiance du récit, qui en acquiert un caractère inquiétant, presque surnaturel.
Que vous ayez lu ou pas "Les Hauts de Hurlevent", ne passez pas à côté de "La migration des cœurs". C'est un roman passionnant, riche, dont les personnages haut en couleurs n'ont rien à envier aux héros d'Emily Brontë !
(1) Métis né d'un père noir et d'une mère blanche, ou d'un père blanc et d'une mère noire.
(2) Antillais non issu de métissage, descendant direct des premiers colons blancs.
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