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[L'ombre des forêts | Jean-Pierre Martinet, Alfred Eibel]
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ingannmic



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Posté: Mer 04 Avr 2012 8:51
MessageSujet du message: [L'ombre des forêts | Jean-Pierre Martinet, Alfred Eibel]
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"Plus de musique. Rien. Un jour, toutes les musiques s'arrêtent, et voilà. On se retrouve à Rowena. Ni couché, ni debout. Juste là. Les bras battant l'air chaud, le regard vide. Légèrement oscillant dans l'espace. Ni douce lumière, ni atroce blancheur de ciel. Rien. Personne".

Et c'est dans cette ville fictive de Rowena, censément située à proximité de la frontière franco-allemande, mais que l'on pourrait croire au fin fond de l'impasse du monde, tant elle paraît grise et désolée, que nous fait échouer Jean-Pierre Martinet dans "L'ombre des forêts".

Nous n'y sommes pas seuls...
Nous y errons en compagnie de trois guides improbables, au gré de déambulations anxiogènes et désordonnées.
Pardon, "compagnie" n'est en réalité pas le terme approprié. Les tristes héros de Jean-Pierre Martinet sont à ce point enfermés dans la conviction de leur inutilité, de leur insignifiance, à ce point absorbés par le mécanisme de leurs obsessions, que toute possibilité de communication avec eux est proscrite.

Ainsi Monsieur, qui a engagé Céleste suite à la disparition de Roberte, sa fidèle gouvernante, préfère emprunter lors de ses allées et venues l'escalier de service de sa vaste demeure plutôt que de prendre le risque d'une rencontre impromptue avec sa nouvelle employée. Il a jeté son carnet d'adresses dans une bouche d’égout, abandonné son répondeur dans un terrain vague, et passe des heures terré dans sa chambre, sous la lumière perpétuelle de Globe Sale, le lustre avec lequel il entretient une étrange relation, que Céleste a l'interdiction formelle d'éteindre ou de nettoyer.
Peu importe, elle compense en astiquant de fond en comble le reste de la maison, de façon presque compulsive, rongée par la mauvaise conscience que lui procure la moindre seconde d'oisiveté, et par le malaise que suscite l'attitude de Monsieur envers elle.
Rose Poussière, dernier élément de ce curieux trio, a quant à elle élu domicile dans un hôtel sordide, locataire d'une chambre qu'elle quitte rarement, terrorisée à l'idée d'être dissoute par la pluie qui risquerait de la surprendre si elle mettait le nez dehors... Elle-même a miraculeusement escamoté de son esprit les quarante années durant lesquelles elle fût Edwina Steiner, dont elle nie l'existence depuis qu'elle a vécu l'horreur des camps de concentration.

Les personnages de Jean-Pierre Martinet évoluent dans une sorte de spirale qui se nourrit de leurs psychoses et de leur paranoïa. Comme transparents aux yeux des autres, ils se réfugient dans un univers intérieur où règne leur fantasmagorie personnelle, à partir de laquelle ils interprètent les signes en provenance de l'environnement extérieur, les parant d'une dimension grotesque et horrifique. A travers le prisme de leurs traumatismes, la ville, notamment, se transforme en un labyrinthe hostile, aux contours imprécis.
Et le fait de vivre dans l'espace intime qu'ils se sont créés ne leur procure ni satisfaction ni sentiment de sécurité.
S'ils tentent de se persuader qu'ils n'ont pas besoin du monde, de l'attention des autres, c'est finalement pour se protéger, parce qu'ils refusent d'affronter les risques inhérents à la relation avec autrui : celui d'être déçu, humilié, celui d'être malheureux... Mais ce faisant, ils s'exposent finalement à des dangers encore plus grands -comme celui de sombrer dans la démence-, et à des souffrances d'autant plus profondes.

Il est difficile de sortir indemne des romans de Jean-Pierre Martinet. L'atmosphère dont il nous enveloppe, grisâtre, oppressante, l'état d'esprit désespéré de ses personnages qui se heurtent, en boucle, à l'absurdité de leurs raisonnements et à leur solitude font de ces lectures une expérience parfois éprouvante, mais aussi très forte. D'autant plus forte que son écriture, par sa précision, sa justesse, a le pouvoir de nous toucher profondément.


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