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[En attendant les barbares | John Michael Coetzee]
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ingannmic



Sexe: Sexe: Féminin
Inscrit le: 22 Aoû 2008
Messages: 737
Localisation: Mérignac


Posté: Sam 18 Fév 2012 14:36
MessageSujet du message: [En attendant les barbares | John Michael Coetzee]
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La lecture d'"En attendant les barbares" m'a par moments évoqué celle du "Désert des tartares" de Dino Buzzati. En effet, l'action du roman de John Maxwell Coetzee se déroule en un lieu, la Cité, dont les habitants (les colons) attendent, en vain, une éventuelle attaque des indigènes (les barbares).
Cette attente, comme dans le roman de Dino Buzzati, finit par prendre un caractère irréel, symbolique.

Mais à la différence de l'auteur italien, qui exploite cette morne expectative comme prétexte à une réflexion sur la fuite du temps, il m'a semblé que l'objectif de John Maxwell Coetzee était d'amener son lecteur à un questionnement d'ordre plus conjoncturel et sociétal, portant notamment sur la légitimité morale de l'expansion coloniale, et sur les dérives du pouvoir.

Autre point commun entre les deux œuvres : l'absence de référence spatio-temporelle qui permettrait de situer historiquement ou géographiquement le récit. Nous savons simplement que l'action se déroule au sein de l'Empire, dans une ville fortifiée aux portes d'un désert.
De même en ce qui concerne les protagonistes, qui ne sont pas désignés par leur nom mais par leur fonction ou l'une de leurs caractéristiques.
Le personnage principal, entre autres, est le Magistrat. Il ressemble assez aux héros masculins qu'a l'habitude de mettre en scène Jonh Maxwell Coetzee dans ses romans (du moins ceux que j'ai lus). On ne peut pas dire qu'il soit au départ particulièrement attachant. C'est un individu qui se place dans une démarche analytique vis-à-vis de ce qu'il ressent, qui fait preuve de recul face à ses émotions. Et pourtant, il fait preuve -grâce justement à sa capacité d'analyse et à son intelligence- d'une humanité rassurante au sein d'une société inique et cruelle dont les travers ne sont pas sans évoquer les heures sombres du colonialisme.
Je pense à cette façon d'humilier, de rabaisser l'indigène et de se convaincre de sa propre supériorité pour se justifier d'actes innommables, pour légitimer l'existence d'un Empire qui, telle une montreuse entité, se nourrit de son besoin d'expansion, s'invente des ennemis pour assouvir sa soif de violence et de domination. Je dis "s'invente" car il semble bien en effet que cette hypothétique attaque barbare ne soit qu'un mythe, un fantasme, dont chacun se persuade, par commodité ou ignorance.
Pour les soldats qui, dans l'attente de l'assaut, occupent la cité, agiter devant la population le spectre d'une invasion menée par ces êtres primitif et immoraux que sont les barbares permet, en toute impunité, de se comporter eux-mêmes comme des sauvages irrespectueux de leurs semblables. Le fait de désigner un ennemi commun et étranger permet de prévenir les éventuelles récriminations de civils qui subissent le comportement abusif d'une armée censée les protéger de l’hostilité et de la convoitise des indigènes...

Le héros quant à lui se prend d'une étrange attirance pour une jeune barbare capturée par des soldats, et dont le père est mort des suites des tortures qui lui ont été infligées. Contrairement à la plupart de ses semblables, lui accepte de se rappeler que les rapports qu'ils ont eu jusqu'à maintenant avec ces barbares étaient pacifiques (ces derniers venaient ponctuellement faire du troc à l'entrée de la Cité) et il perçoit l'absurdité du comportement de ses concitoyens et de ses responsables.
Face aux injustices et au mépris que subissent les indigènes, sa conscience s'élève peu à peu jusqu'à un point de non retour où il n'aura plus d'autre choix que celui de crier son refus de devenir lui-même un barbare, non pas au sens où l'entendent les colons, mais dans la définition plus large du terme.

"En attendant les barbares" livre divers niveaux de lecture : parabole sur les méfaits de l'impérialisme, conte mettant en lumière la propension de l'homme à la cruauté et à l'intolérance, portrait d'un individu quelconque que sa révolte face à la barbarie finit par rendre extraordinaire..., et sans doute ce roman aborde-t-il encore d'autres thèmes que je vous laisse le soin de déceler...

Toujours est-il que le récit de John Maxwell Coetzee ne laisse pas indifférent, et permet de nous mener sur de passionnantes pistes de réflexion.


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Auteur    Message
amiread1



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Posté: Sam 18 Fév 2012 15:33
MessageSujet du message:
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Magnifique commentaire sur cette oeuvre de Coetzee que j'avais beaucoup aimée. J'avais pensé aussi au "Désert des tartares" de Buzzati, et aussi au "Rivage des Syrthes" de J. Gracq (l'attente...). Coetzee est l'un de mes écrivains préférés.
_________________
"Lorsque Dieu créa le temps il en créa suffisamment". Proverbe irlandais.
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Auteur    Message
ingannmic



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Posté: Dim 19 Fév 2012 20:32
MessageSujet du message:
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Je n'ai pas lu Le rivage des Syrtes. Gracq est un auteur qui m'effraie un peu...
Quant à Coetzee, je l'ai découvert avec Au cœur de ce pays, qui m'avait bluffée par sa puissance. Ensuite, j'ai poursuivi avec L'homme ralenti, qui m'a déçue, pour renouer un peu plus tard avec cet auteur en lisant Disgrâce, que j'ai aimé, sans que ce soit un coup de cœur.
Le peu que j'ai lu de lui me fait entrevoir qu'il s'agit d'un écrivain très complet, qui n'hésite pas à exercer son art dans des styles vraiment différents...
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apo



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Posté: Dim 19 Fév 2012 21:37
MessageSujet du message:
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Pas de frayeur à l'égard de Gracq, si je peux me permettre. Et beaucoup d'admiration pour Le Rivage des Syrtes que presque tout le monde met effectivement en relation avec le fameux Buzzati (et que personnellement j'ai préféré à ce dernier)...
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