[Journal d'un vieux dégueulasse | Charles Bukowski, Gérard Guégan (Traducteur)]
"Je suis un homme frigorifié", nous confie Charles Bukowski dans son "Journal d'un vieux dégueulasse", qui n'est d'ailleurs pas à proprement parler SON journal, mais la compilation de chroniques qu'il rédigea pour le magazine underground Open City à la demande de son ami John Bryan qui en était le créateur.
Et s'il accepta cette proposition, c'est parce que John ne lui imposa ni contrainte ni censure.
Il en résulte une suite de textes relativement courts, dans lesquels l'auteur dépeint les scènes de vie quotidienne (fortement inspirées de la sienne) d'une humanité crasse, miséreuse, qui vit en marge d'une société américaine basée sur la sacro sainte réussite matérielle.
Les petits boulots sous-payés, parfois dangereux, les chambres minables, insalubres, le manque de considération, l'absence de projets d'avenir, l'alcoolisme, le sexe sale, tout cela, Bukowski le dépeint "de l'intérieur", si j'ose dire. A l'inverse de ces écrivains qu'il méprise, qui "descendent" dans la rue, ainsi qu'il le dit lui-même, pour se rapprocher du peuple, lui EST un homme de la rue. Dans son "Journal", c'est lui qu'il raconte, ce sont ses tripes qu'il étale, et tant pis si le résultat est peu ragoûtant... On ne peut pas reprocher à Bukowski ou de vouloir faire dans l'esthétisme. La réalité qu'il nous livre est crue, sordide, et, en effet, dégueulasse !
Au point, à certains moments, de m'être sentie lassée par la récurrence des scènes de soûleries, vaguement écœurée par la vulgarité du style, et irritée par les réflexions misogynes qui émaillent régulièrement le récit.
Ceci dit, crudité et poésie n'étant pas incompatibles, je me suis peu à peu laissée prendre au rythme de l'écriture de Bukowski, certes abrupt mais c'est justement ce qui fait son charme, et à son écriture flamboyante de sincérité.
Revenons-en à cette notion d' "homme frigorifié", que l'auteur emploie dans l'une des chroniques qui évoque la maltraitance dont il fut victime, enfant, de la part de son père. Pour se protéger de la violence paternelle, puis de celle du monde en général, il s'est forgé une carapace d'indifférence à la douleur, physique aussi bien que psychologique. Est-ce ce détachement qu'il prend vis à vis des atteintes dont il est la cible, des coups durs, qui lui permet de porter sur la société qui l'entoure ce regard acéré, désabusé et en même temps comme désincarné, déshumanisé ? Il ne se laisse séduire ni par les propositions consensuelles d'une société hypocrite et pudibonde, qui fait s'engouffrer les individus dans un système aliénant et abêtissant, ni par la propagande des divers courants révolutionnaires, puisque ceux qui veulent changer les choses, lorsqu'ils arrivent au pouvoir, succombent bien vite aux sirènes du pouvoir...
"Journal d'un vieux dégueulasse" révèle le dégoût d'un homme atterré par la misère intellectuelle de ses contemporains, et de la nature humaine en général.
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