[Autoportrait d'un reporter | Ryszard Kapuscinski, Krystyna Straçzek, Véronique Patte (Traducteur)]
Ce collage d'entretiens (et fragments de conférences et autres matériaux, mais globalement correspondant à la forme "question-réponse"), a pour vocation de préciser les aspects principaux de la carrière de reporter de Kapuscinski, ainsi qu'il la concevait. R.K. parle donc (avec certaines répétitions et longueurs typiques de l'oral donc de ce genre de livres) de son expérience et de sa vision du métier de reporter dans son déroulement au fil des ans ; de son écriture, c'est-à-dire à la fois de son style dans la spécificité du genre du reportage littéraire et de sa propre manière de s'imprégner de l'information et de la rendre ; de sa vision éthique des qualités requises par le travail, et enfin, de façon très intéressante, du devenir de celui-ci à l'heure où la révolution des médias a créé une différence fondamentale entre journaliste et "media worker".
Du point de vue stylistique-littéraire, j'ai été particulièrement frappé par son idée de la "poétique du fragment" (p. 107) - et pas conséquent la création de "l'oeuvre en cours" (p. 109) - le fragment étant désormais le seul type de prose à même d'aborder la complexité du monde post-moderne.
Du très stimulant chapitre final (ch. V, pp. 133-169) qui est principalement consacré à l'évolution des médias, je retiens une note ténue mais soutenue d'optimisme sur la pérennité du besoin de bons reporters, aujourd'hui aussi, qui contraste avec le fond d'une noirceur effrayante que nous connaissons tous, à l'heure de l'information-marchandise et du remplacement de la censure par la désinformation... Une précision me manquait à ce cadre d'immense désolation :
"De même que naguère existait le comité central du parti communiste, un "comité central" de l'information est en train de voir le jour. On assiste à une centralisation des grands réseaux médiatiques : de plus en plus d'informations se retrouvent entre des mains de moins en moins nombreuses." (p. 160). Ce discours n'est pas très populaire à l'heure de l'enthousiasme pour le potentiel d'Internet et les prouesses de Mediapart. Il est vrai que l'édition originale de cet ouvrage date de 2003, mais il faut aussi tenir compte de la distinction entre information (et réseaux de communication) de masse et "dialogue entre esprits élevés" (p. 163) : Kapuscinski avait déjà eu le temps de faire cette distinction justement dans le contexte de l'information sur Internet.
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