Il faut l’avouer d’emblée, la photographie de couverture ne rend pas grâce à Reinhold Messner posant, le fessier avantageux, dans des blocs himalayens comme un yéti ahuri égaré dans un décor de pacotille. Issues des archives personnelles de l’auteur, les photographies du cahier central en noir et blanc sont datées et transpirent le parfum suranné d’une époque révolue. Pourtant, il ne faudrait pas s’y méprendre. Le lecteur se trouve face à une légende vivante (ascension sans oxygène des 14 sommets de plus de 8 000 mètres, des sept points culminants des cinq continents ; ses expéditions pédestres laissent pantois : traversée du Bouthan, du Pamir, du Gobi, de l’Antarctique, du Groenland). Nānga Parbat, le titre du récit de Messner claque au vent mauvais et venimeux des sortilèges et des malédictions. Nānga Parbat, dans le nom même de cette haute montagne pakistanaise, on croit sentir le balancement hypnotique du naja cobra, dressé et prêt à mordre. Les frères Reinhold et Günther Messner vont en faire les frais, dans la neige et la glace, la tourmente et la désolation, la vie, la mort et le fardeau de la survie. Dans son prologue daté de septembre 2009, Reinhold Messner remet les pendules à l’heure autour de l’expédition de 1970 au Nanga Parbat et le lecteur en reste coi. Reinhold a été injustement accusé d’avoir abandonné son frère Günther afin que le succès de l’ascension lui revienne intégralement.
« Günther, pour qui j’avais constamment cherché une voie nous préservant du froid et de l’altitude, de la détresse et du chaos, m’a suivi jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans une crevasse du glacier au pied de la paroi. » On croit cauchemarder face à de telles calomnies perpétrées par l’organisateur de l’expédition, Karl Maria Herrligkoffer. La découverte du cadavre de Günther en 2005 au pied de la paroi du Diamir accréditant définitivement le récit de Reinhold n’aura pas pu inverser la rumeur persistante de médisance. Il faut imaginer le poids de cette suspicion dans la vie de Reinhold. Le premier chapitre du récit présente l’installation au camp III et la monotonie qui s’ensuit alors que la neige tombe en vrac sans relâche des jours durant. Les rares lucarnes de beau temps sont vite balayées par le grésil et la tempête de neige. Les alpinistes redescendent tous au camp de base, quasiment persuadés que l’expédition est un échec. Puis les alpinistes repartent bille en tête aux camps supérieurs, décidés à tenter l’impossible. Reinhold s’est entendu avec Karl. Ce dernier envoie une fusée rouge depuis le camp de base en cas de mauvais temps prévu et une fusée bleue le cas contraire. La fusée rouge est allumée et Reinhold décide d’entreprendre immédiatement l’ascension. Son frère Günther lui emboîte le pas mais il s’épuise dans des efforts quasi surhumains pour le rejoindre :
« Il gravit le couloir de Merkl en moins de quatre heures. Six cents mètres de dénivelé en haute altitude ». Ils atteignent le sommet mais la descente va être tragique. Karl Maria Herrligkoffer aurait dû avertir les Messner que les prévisions météorologiques étaient bonnes et envoyer une fusée bleue. Ainsi, la précipitation et le drame qui s’ensuivra n’auraient jamais eu lieu. Reinhold sera un vainqueur amputé. Nānga Parbat est sobrement dédicacé à Günther. Le récit a été rédigé dans l’ombre tutélaire du frère disparu. Les quelques feuilles des carnets d’expédition de Günther concluent le livre. Avec cette expérience de l’extrême, Reinhold Messner en sortira transfiguré et il lui faudra, sa vie durant, franchir sans cesse l’Himalaya par des cheminements intérieurs insondables et incertains.
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