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[Peau noire, masques blancs | Frantz Fanon]
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ingannmic



Sexe: Sexe: Féminin
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Messages: 737
Localisation: Mérignac


Posté: Mar 07 Juin 2011 23:06
MessageSujet du message: [Peau noire, masques blancs | Frantz Fanon]
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Au
moment où il écrit cet ouvrage, en 1961, le monde colonial est en plein éclatement.

1956 a vu en Angola la naissance du mouvement populaire de libération, Madagascar a retrouvé son indépendance en 1960 après une lutte nationaliste incessante contre la France, la révolte des Mau Mau qui permettra au Kenya d'y accéder en 1963 bat son plein...

Et, surtout, en Algérie, la guerre a débuté, depuis 1954.

Frantz Fanon, qui a exercé sa profession de psychiatre à l'hôpital de Blida, où il a été amené, là aussi, à traiter les nombreux troubles occasionnés par la situation coloniale mais aussi par les exactions commises pendant la guerre d'indépendance (tortures, massacres), prend fait et cause dès 1956 pour la libération du peuple algérien : il remet sa démission de son poste à l'hôpital et rejoint le Front de Libération Nationale (FLN).

Ce qui frappe en premier lieu, lorsque l'on débute la lecture des "damnés de la terre", c'est sa limpidité. L'auteur pose un raisonnement lucide et visionnaire, mais surtout accessible à tous. Il est d'ailleurs important de noter, ainsi que le fait Sartre dans la préface qu'il a rédigé à cet ouvrage lors de sa parution, que ce dernier à été écrit à l'intention des peuples colonisés, et non de leur oppresseur.

Dans un premier temps, Fanon pose le principe de l'inéluctabilité de la violence dans le processus de libération, qui ne peut passer que par la destruction totale de la structure mise en place par le régime colonial.
"L'intuition qu'ont les masses colonisées que leur libération doit se faire et ne peut se faire que par la force", après des décennies d'exploitation et d'asservissement, est le départ d'un élan populaire que rien ne doit pouvoir arrêter.
Aucune compromission à cet éveil des opprimés n'est acceptable : les partis politiques nationalistes raisonnables qui cherchent à négocier avec les colons ne peuvent que permettre à ces derniers de maintenir une partie de leur emprise sur les colonies.
Cette violence semble par ailleurs logique, puisqu'elle vient en réponse à celle qu'a fait subir l'européen des années durant aux indigènes, auxquels il a toujours été dit qu'ils ne comprenaient que le langage de la force !

La volonté de combat fait naître chez le peuple la notion de conscience et de destin national, et là où "Les damnés de la terre" est très intéressant, c'est que Fanon insiste sur le fait qu'il ne faut pas s'arrêter là : après la libération, un autre combat se joue, celui de la reconstruction. L'auteur voit dans la décolonisation l'occasion inespérée de bâtir un nouveau modèle de société, dans laquelle l'homme serait le bien le plus précieux, une société tournée vers l'ensemble du peuple.

Fanon est bien conscient de tous les obstacles qui s'opposent à l'avènement de cette société idéale, et il les détaille, pour mieux les reconnaître et les éviter. La plus grande difficulté à surmonter réside dans les inégalités qui séparent les colonisés les uns des autres. Les citadins ont profité durant la domination européenne de certains avantages. Il s'est ainsi créée une bourgeoisie indigène qui singe la bourgeoisie occidentale, mais qui n'a ni la puissance économique de cette dernière, ni sa légitimité séculaire. La bourgeoisie indigène se contente d'afficher des signes extérieurs de richesse, mais fait preuve d'étroitesse d'esprit en refusant de réinvestir ses bénéfices dans l'économie locale.
Le prolétariat des villes, se calquant sur le comportement de cette bourgeoisie, fait preuve de racisme envers le milieu rural, considéré comme moyenâgeux, et dont il craint que les masses ne viennent leur disputer ses avantages acquis.

L'élaboration d'une société bourgeoise suite à la décolonisation est par conséquent vouée à l'échec, nous dit Frantz Fanon : se vendant aux grandes compagnies étrangères pour faire du profit, minée par la corruption, la cupidité, elle accentue les inégalités qui vont forcément inciter les miséreux à se révolter, et l'expérience (notamment dans certains pays d'Amérique du Sud) a démontré que dans ce cas, l'armée, appelée en renfort pour réprimer la révolte, en profite pour prendre le pouvoir et c'est alors une dictature militaire qui s'installe.

C'est pourquoi l'auteur insiste sur la nécessité d'instaurer un lien entre les villes et les campagnes. Il est indispensable que les élites nationalistes se rapprochent du vrai peuple, l'instruise, le politise, l'organise.
Le peuple se doit non pas d'être tenu en laisse, mais d'être souverain. La reconstruction doit passer par la reconnaissance et l'implication de tous, le citoyen doit participer à la reconstruction de la nation pour se l'approprier. Il doit être l'artisan de son propre développement.
La tâche est immense, il s'agit d'alphabétiser, de répartir travail et richesses, de rétablir l'égalité entre citadins et ruraux, hommes et femmes, passer, en bref d'une conscience nationale à une conscience politique et sociale.
Autre danger dont nous prévient l'auteur : celui de se risquer à répondre aux sollicitations des nations impérialistes
ou socialistes, qui ont bien compris les enjeux de la décolonisation. Rappelons que nous sommes alors en pleine guerre froide, et que la décolonisation est source d'enjeux économiques et politiques primordiaux, d'où les tentatives de séduction des différents blocs...
Mais, ainsi que nous le rappelle Frantz Fanon, les nations libérées du colonialisme doivent être maîtresses de leur destin.

"Le sort du monde ne dépend pas de la guerre entre régime socialiste et pays capitalistes, mais d'investir et aider techniquement les régions sous-développées".
D'autant plus qu'ainsi qu'il le souligne dans sa magnifique conclusion, le système occidental a montré ses limites, son inhumanité. Le modèle européen notamment n'est par conséquent décidément pas à suivre...

Quelques 60 ans plus tard, on peut déplorer que les conseils qu'il prodigue dans ces "Damnés de la terre" n'aient pas été vraiment suivis... On y réalise toute la mesure de sa clairvoyance, de la justesse de son analyse sur le devenir des nations décolonisées qui ont rarement -voire pas du tout- profité de l'occasion pour mettre en place une société équitable et humaniste telle qu'il la rêvait pour ces peuples épuisés par des siècles d'asservissement.

La consolation est maigre, de se dire qu'il n'aura pas été là pour voir ça (il est mort des suites d'une leucémie quelques mois après la parution de ce livre)..

Frantz Fanon, grand humaniste, avait foi en l'homme.
Peut-être l'homme n'a-t-il pas eu assez foi en lui...


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