Un clochard rimailleur, Pascal Mesneux, ancien professeur de français en lycée professionnel maintenant à la dérive, meurt à la suite d’une agression en pleine rue. Un jeune encapuchonné a tenté de lui arracher sa besace et « la tête du vieux a violemment heurté l’angle de l’embase d’un réverbère » selon le rapport dressé par le lieutenant Augustin Monot, de la 3e Division de la police judiciaire, à Paris. Monot est un policier porté sur la littérature et féru de poésie. Mesneux s’était fait la tête de Victor Hugo qu’il révérait au point de laisser croire qu’il habitait avenue Victor-Hugo et qu’il enseignait à la Sorbonne. La situation se complique lorsqu’on découvre dans la besace du clodo céleste un sonnet inédit de Baudelaire. Pour Mesneux, le poème de Baudelaire représentait un pactole négociable mais les vers appellent les vers avec pour destination ultime le Panthéon ou la morgue. Mesneux se voyait déjà à l’Académie française mais si sa propre production poétique est techniquement bien ficelée, elle est dénuée d’émotion comme le note Monot à la lecture d’un des carnets du défunt. Un simple fait divers, un SDF agressé en pleine rue, devient une affaire d’Etat car le Tout-Puissant, soit le supérieur du commissaire Viviane Lancier, s’en mêle alors les médias s’enfièvrent et s’emmêlent aussi sous la houlette de la dircom du cabinet ministériel, la charmante pétasse Priscilla Smet. Il faut reconnaître que le sonnet baudelairien semble prémonitoire quand les alexandrins trouvent un écho troublant dans le déroulement des événements tragi-comiques qui s’ensuivent. Il convient d’authentifier le sonnet mais le collectionneur Louis Saint-Croÿ est victime d’une tentative d’assassinat ; la graphologue Elisabeth Blum à qui l’expertise a été confiée est retrouvée morte dans l’ascenseur de son immeuble ; la médium Astrid Carthago rejoint définitivement les esprits qu’elle appelait lors de ses séances de spiritisme à la demande des clients. La liste s’allonge. Seul le concurrent graphologue, Jean-Paul Cucheron, à l’haleine fétide, semble échapper aux règlements de compte en série mais l’étau se resserre aussi sur lui.
Le roman de Georges Flipo est agréable à lire bien qu’il manque parfois de tempo. Quelques passages à vide dans une histoire à énigme qui se résout dans les dernières pages n’empêchent nullement d’apprécier une intrigue originale autour de l’exhumation d’un sonnet oublié de Charles Baudelaire. Pour les admirateurs de l’immense poète, le sonnet sonne faux dès le départ mais on peut grappiller des remarques intéressantes autour de l’œuvre et du poète. Georges Flipo est allé se documenter à des sources sûres. Certains passages sont franchement hilarants à l’exemple de la déposition prise par Monot et décortiquée à haute voix par Lancier ou encore la découverte de Xavier Baudelaire, improbable descendant d’une lignée parallèle au poète, spécialiste de l’alimentation bovine avec son fameux Kill Mouch’ :
« Léché par vos vaches, ce bloc aux algues est magique, il confère à leur sueur une odeur répulsive pour les mouches et tiques ». Sous un ton badin et une atmosphère bon enfant, l’histoire véhicule toutefois son cortège de veuleries, toute honte bue, de vraies méchancetés, de frustrations, de rancunes, de bassesses. Tout un monde glauque s’agite en coulisse, depuis la veuve du clochard, Patricia Mesneux et son fils Gary, de Christophe Le Garrec, médium improvisé et de bien d’autres opportunistes dénués de scrupules semblant tout droit sortis d’un roman de Georges Simenon. La seconde aventure de la commissaire Lancier sera nettement mieux troussée peut-être simplement parce qu’elle accentue un peu plus la ténèbre humaine.
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