Les phrases sont courtes et les mots sont simples. L’écriture est aérée, fluide mais elle serre au plus près la vie de Matthieu, libraire parisien bientôt à la retraite dont Cassius, le cocker aimé, meurt. Dans la foulée, sa femme le quitte et Matthieu se dépouille de ses piles de livres, de ses menues habitudes parisiennes, de son appartement et part dans la Creuse. Il retrouve la maison en ruine de l’oncle Gerbault, rescapé de la Grande Guerre, revenu de l’enfer : « Il avait gardé dans les yeux et les oreilles l’image et l’écho d’un tel pandémonium qu’il ne supporta plus que les horizons vides et le seul bruit du vent ». L’oncle est mort maintenant depuis des lustres. Matthieu décide d’habiter la vieille batisse isolée du monde. « Jour après jour il entrait en solitude. » Loin des autres, sa raison menace de le quitter à son tour. Ses tentatives de se raccrocher aux bouées humaines pourraient se solder par un « échouage hideux » alors qu’elles se révèlent d’une intensité bouleversante. Sonia, professeur de violon rencontré à Guéret, Francis, le jeune homme sourd, muet, aveugle que son père promène en laisse dégagent une présence étonnante, une vérité troublante. D’ailleurs l’idiot promené au bout d’une ficelle ne dépareille en rien dans l’univers de Beckett et il entre en résonance avec l’un des trois livres que Matthieu lit sans relâche, Malone meurt. Deux autres livres essentiels puisés à son panthéon littéraire accompagnent Matthieu, Les Géorgiques de Virgile, L’Iliade et l’Odyssée de Homère mais progressivement, ces trois livres perdent leur substance nourricière, se diluant et s’estompant dans l’ascèse intellectuelle de l’ancien libraire. Beckett a le dernier mot : « Voilà. Jamais. Voilà. Voilà. Plus rien. » Matthieu décroche et vit au jour le jour, indifférent au déroulement de la vie jusqu’à ce qu’un couple de randonneurs égarés et exténués fasse irruption chez lui. Lui, Alban, professeur d’histoire, est passionné d’archéologie ; elle, Paule, le suit tant bien que mal, peu encline à crapahuter et à bartasser. Matthieu a le coup de foudre pour la femme au visage de tragédienne. Il sent que son désir est réciproque. Il se plie en quatre pour les accueillir. Après cette trop longue abstinence, un frôlement le remue, un contact le chavire. Paule va répondre à ses attentes. L’Arcadie rêvée par Matthieu dans sa retraite bucolique va être bouleversée par l’irruption incontrôlable du désir, du sexe et de l’amour. Le mythique pays des Grecs baigné de quiétude et empreint de sérénité vole en éclat.
Hormis la dernière demi-page ratée avec son dénouement quelconque et prévisible, les deux cents pages se lisent sans temps mort, avec grand plaisir, toutes affaires cessantes. L’érudition de l’auteur parfaitement assimilée est rendue au lecteur digeste et nourrissante. La littérature, la musique et la peinture jouent en écho. L’humour est subtilement distillé en fin de chapitre. Les interrogations et les remarques de Matthieu sont émouvantes et pertinentes. On peut seulement regretter que l’auteur s’évertue à donner une dimension mythique à des situations vaudevillesques qui atteignent un paroxysme à la toute fin, frisant les moustaches du ridicule mais c’est là péché véniel au regard de l’ampleur du roman.
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