L’urbanisme devrait être pensé en collaboration d’ethnologues, d’anthropologues et de psychologues, pour tenir compte de l’organisation spatiale et de l’univers sensoriel liés à chaque culture. Cependant, je ne suis pas persuadée de la simplicité apparente de “catégoriser par culture”.
Au début du livre, les comparaisons sont fréquentes entre cultures américaine et européenne, mais il n’y pas UNE seule culture européenne (pareil aux USA je suppose); heureusement, c’est un peu plus développé par la suite (Français, Allemands, Anglais, etc.) mais quand même, est-ce fiable? Déjà, il faut se souvenir que cela ne concerne que les citadins, logique puisqu’on parle des villes, mais n’y a-t-il pas un risque de généralisation?
D’accord, la culture intervient indéniablement, mais ça me paraît plus compliqué que ça. On n’est pas des “races pures”, un mélange de facteurs divers intervient, que ce soit au niveau de la mixité des origines, de la migration, de l’occidentalisation, du métissage, etc. Sans compter l’individualité de chaque personne, ses goûts, ses influences, son vécu, etc. Bref, catégoriser, c’est toujours stéréotyper, et je ne suis pas convaincue.
J’ai aussi des réserves au sujet des expériences pratiquées sur les rats. La conclusion est que la surpopulation engendre stress et agressivité. Jusque là, d’accord. Mais quand l’auteur cite la “sélection naturelle” en conséquence positive de ce phénomène, ça me dérange. Le darwinisme social est un peu dangereux à mon goût, et on sait maintenant que la loi du plus fort n’est pas une fatalité, quand on se donne la peine d’utiliser certains mécanismes de solidarité.
Autre conséquence citée, mais négative cette fois: la pansexualité, qui serait une “dégradation des moeurs sexuelles”. En contre-exemple, je citerais les bonobos, singes pansexuels et pourtant pacifistes, organisés selon un modèle matriarcal, et qui gèrent leurs conflits grâce au sexe.
Pour en revenir à la surpopulation, quelles seraient les solutions finalement? J’ai bien compris les pistes proposées en matière d’urbanisme, repenser les espaces etc., mais pour la surpopulation? J’ai juste décelé un argument : 60 à 70% de l’espace urbain serait aménagé pour les voitures! Il y aurait effectivement de quoi récupérer au profit des êtres humains. A ce sujet, je partage entièrement son opinion sur la voiture, qui nous coupe du monde, opposée à la marche qui privilégie les sens. Marcher pour observer, pour profiter des saisons, pour prendre humblement conscience de sa place dans les éléments, pour visiter, pour manifester, pour réfléchir, pour discuter, partir en randonnée, etc. La marche est sous-estimée. Elle est parfois le moyen unique d'atteindre certains endroits. Elle permet de voir ce que la vitesse brouille en rendant les contours flous, et donc de garder les pieds sur terre.
Autre bémol: le bouquin est daté (1966), et ça se sent parfois. Si les généralités restent bien d’actualité, certains points mériteraient une mise à jour, par exemple quand l'auteur parle de télégrammes(!), ou plus important, pour connaître le suivi de certaines expériences évoquées. Et si Edward T Hall est plutôt visionnaire en matière d’espace, il l’est un peu moins quand il s’agit de celui occupé par la femme, reléguée au statut de “ménagère qui s’occupe bien de son foyer et de son petit mari qui a eu une dure journée”.
Pour terminer sur les aspects positifs, voici ce que j'ai trouvé très intéressant:
les explications sur le fonctionnement sensoriel des humains, sur les prolongements de la communication et l’exhaustivité de la communication chimique, sur l’art, que l’on ne peut pas vraiment comprendre si on ne connaît pas l’univers sensoriel de l’artiste (très parlant avec les esquimaux!), sur le fait qu’on soit limité par le langage pour décrire quelque chose et donc pas de liberté d’être impartial, et sur les dispositions autour d’une table qui favorisent ou non la conversation.
En conclusion, lecture très instructive mais qui demande un esprit critique, et tant mieux après tout!
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