[Profession imâm | Tarek Oubrou, Michaël Privot, Cédric Baylocq]
[Conseil de Daffodil que je tiens à remercier ici et dont je partage les voeux de diffusion de cet ouvrage]
L'islam, comme les autres religions soi-disant révélées, est parcouru par la diatribe qui oppose les littéralistes aux historicistes qui prennent en compte la sociologie du moment coranique et, par conséquent, celle du temps et du lieu dans lesquels ils évoluent eux-mêmes. Tareq Oubrou est de ces derniers, et l'on peut le qualifier de réformateur si cette qualification explique qu'il puise son herméneutique autant dans les sciences sociales (et naturelles) contemporaines que chez les Anciens, protagonistes d'un islam moins décadent, moins réactionnaire, plus illuminé qu'aujourd'hui.
Il élabore ainsi son concept de "sharia de minorité", adapté à la sécularisation européenne et à la laïcité, à la France dont il se sent appartenant à plein titre, aux difficultés de l'islam de banlieue (voire du milieu carcéral) avec les dérives radicales de celui-ci, notamment chez certains jeunes et néophytes au niveau religieux, moral et culturel inférieur à celui de la moyenne française outre que du monde musulman ; une sharia impliquant les acquis philosophiques et juridiques traditionnels de la société majoritaire et la nécessité du dialogue interreligieux afin de désamorcer les conflits politiques et sociaux nationaux comme importés (cf. conflit au Moyen Orient) ; une sharia enfin qui a pour but de permettre au fidèle de pratiquer en France en toute sérénité de conscience, sans accrochage d'identités ni de fidélités. En généralisant, on pourrait voir dans cette finalité celle de contribuer, par sa pratique du magistère (mosquée de Bordeaux), par ses consultations juridiques (fatwa), par sa recherche théologique philosophique et sociologique, à un islam d'Europe qui, bien qu'à contre-courant de la tendance répandue chez nous par un grand nombre d'imâms "importés" et/ou improvisés, constituerait un modèle de renouveau musulman dans l'ensemble du monde globalisé, grâce à un travail de longue haleine et de bonne volonté (cf. par ex. son attention à la formation des imâms et l'importance qu'il prête au soufisme).
Sous la forme d'un entretien avec deux aspirants universitaires au profil très différent, Tareq Oubrou ne cache pas non plus les difficultés matérielles de son quotidien, le peu de considération pour le statut des imâms en France, et quelques cas concrets qu'il a affrontés (ex. sur la question du voile, du statut de la femme, sur le cas de conscience d'un croyant travaillant pour une publicité de boisson alcoolisée, sur ses prises de position au sujet de la question israélo-palestinienne), sujets que j'ai trouvés personnellement beaucoup plus intéressants que l'ensemble du texte qui est de nature plutôt hétéroclite, mais très ancré sur la contribution théologique de Tareq Oubrou, et fragmenté de surcroît par la forme question-réponse.
Une cit. finale sur le rôle d'un imâm en France, par opposition à celui de son confrère en pays musulman, donnera le ton de la démarche de l'auteur:
"Ici, il [l'imâm] doit être un catalyseur de l'intégration de la communauté dans un paysage sécularisé, multiconfessionnel, multiculturel... Il doit donc connaître ce paysage, être lui-même intégré dans cette société occidentale, mentalement et culturellement, afin de pouvoir amener, par son discours, les musulmans à rencontrer l'autre. Car l'autre fait partie de leur identité, d'une façon ou d'une autre. L'autre nous habite même si on le refoule parfois. L'interreligieux comme éthique de l'altérité est donc une des dimensions qui doit être initiée par le religieux [...]" (p. 158-159)
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