Le GR 20 (Fra Li Monti) qui traverse en diagonale l’épine dorsale de la Corse suscite bien des engouements et des étonnements malgré les années accumulées depuis sa création, les milliers de randonneurs à l’avoir parcouru et les nombreux témoignages qui en découlent. Le journal de Bernard Barrou, écrit après coup, relate une traversée pédestre de l’île, faite du sud au nord, dans la foulée. En deux semaines, un groupe de seniors cornaqués par Rémy De Vos, de l’agence Via Montagnes, trouve le souffle, le rythme et la force dans la nature altière et farouche de l’île de beauté. La descente sur Bastia, en fin de périple, laisse la bouche sèche d’hébétude. La ville paraît factice, les habitants et les touristes superficiels. Où est la vraie vie ? Dans cet entredeux de la marche, par intermittence, quand les sensations décantent l’esprit et le corps, rendant la réalité visible un court instant ? Une telle immersion peut laisser une écume d’amertume, un sentiment d’inachevé mais aussi le ferment puissant pour de nouveaux départs. Le livre oblong est maniable ; agrémenté d’une photographie significative en couverture, il se lit aisément et agréablement. Le style est alerte et le propos sincère. Les courts chapitres suivent les étapes du parcours. La centaine de pages est vite engloutie. Si l’auteur se livre sans fard, il n’en reste pas moins à la surface des choses. Qu’a-t-il vu et ressenti que les autres n’ont pas vu ? Comment le rend-il perceptible au lecteur ? Emploie-t-il la bonne méthode pour raconter son voyage ? C’est moins sûr, surtout quand il avance : « En voyageur avisé, j’emmagasine dans mon cerveau un champ infini d’images que le temps va me restituer sous un éclairage autrement plus précieux qu’une photo : la déformation d’une réalité perçue et sublimée par le filtre de mon imagination. » Il s’assoit donc sur la photographie. On peut aussi lire sous sa plume : « Beaucoup de randonneurs s’astreignent à tenir chaque soir une feuille de route. J’y ai renoncé depuis longtemps. Cet usage ne traduit le plus souvent que des sensations de vacanciers, des propos éculés respectant surtout le déroulement chronologique des événements, sans toucher à la vérité des choses. […] Je crois aux effets miraculeux de la décantation, au recul nécessaire, aux traces marquantes… et bien sûr au domaine infini de l’imagination. » On peut aussi croire à la fadeur du souvenir liée à une perte considérable d’information mais peut-être Bernard Berrou possède-t-il des capacités intellectuelles dont le « bipède souriant » est dépourvu ? L’auteur sait très bien enfoncer des portes ouvertes et friser le ridicule malgré la hauteur de vue et la tangente qu’il souhaiterait prendre. Toutefois, certains passages laissent affleurer et espérer une vision singulière au seuil de la voyance. Pour se faire, il faudrait qu’il remise au fond de son jardin intérieur des clichés tel que « l’infini de l’imagination » et qu’il laisse fleurir en chemin les friches de son esprit mais cet itinéraire-là n’est pas fléché et autrement ardu. Que ces remarques de fond ne coulent pas un livre intéressant par son sujet même ! La lecture de La Haute Route réveillera des souvenirs ou suscitera des désirs d’escapade, les deux réactions pouvant être compatibles et fécondes.

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