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[Effacement | Percival Everett] |
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Max
Inscrit le: 10 Aoû 2006 Messages: 403
Âge: 44
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Posté: Mer 25 Nov 2009 13:50
Sujet du message: [Effacement | Percival Everett]
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Thelonious Ellison – dit Monk – est un écrivain noir américain d'avant-garde dont les romans, très érudits, se vendent mal. Alors qu'il excelle dans la réécriture des Perses d'Eschyle, ou l'étude critique de Barthes, ce qu'attend de lui le monde de l'édition c'est un roman "black", une histoire de ghetto conforme au marketing du roman réaliste "identitaire" afro-américain. Ecœuré et révolté par la médiocrité et le succès de l'un de ces ouvrages dits de "littérature noire américaine", il en écrit, sous pseudonyme, une parodie. Résultat : la supercherie se transforme en best-seller ! Ecartelé entre une carrière universitaire végétante, une vie sentimentale au point mort, des crises familiales à répétition et un triomphe sous pseudonyme qu'il n'assume pas, Monk vacille et frôle la schizophrénie.
Ce roman est un pur bonheur, un vrai régal ! Il y a d'abord le plaisir du pastiche, l'acidité ironique de la farce et la satire souvent très drôle de l'inanité du monde de l'édition et des médias (la veulerie paresseuse du monde de l'édition, le suivisme couard de la critique et des prix littéraires ou encore la vulgarité des bateleurs de talk-shows).
Il y a ensuite ces éclats d'érudition qui parsèment le récit, sans pédanterie aucune : Percival Everett est un auteur exigeant, pour qui l'écriture romanesque est indissociable d'une réflexion sur l'art du roman et son rôle dans la société. Ainsi son roman questionne sur qu'est-ce qu'être écrivain ? Qu'est-ce qu'être afro-américain ? Et, corollairement, qu'est-ce qu'être un écrivain afro-américain ? Et ne peut-on dissocier ces deux conditions ? Le thème central du livre est donc bel et bien celui de l'identité en une mise en abîme vertigineuse : l'œuvre de Monk (et par extension celle de Everett) est un questionnement continu sur leur condition d'écrivain afro-américain avec laquelle ils semblent être tous deux en conflit permanent. C'est une réflexion politiquement incorrecte sur la façon avec laquelle les blancs reçoivent les romans écrits par des Américains noirs. Une distinction qui existe, et qu'Everett combat.
« Au volant sur la nationale 50, Mère à côté de moi, Lorraine derrière, emmenée à son corps défendant, je passais en revue les défauts du roman que j'allais publier, que j'avais proposé justement parce qu'il était mauvais, mais dont la nullité maintenant me tourmentait. Bien sûr, c'était une parodie, mais si peu pensée que même en tant que telle j'avais du mal à la prendre au sérieux. C'était un texte ennuyeux, avec pour seule vertu sa brièveté. Il n'y avait aucun jeu sur les structures ni même la typographie. En vérité, d'un point de vue artistique, ce travail à mes yeux n'occupait aucun espace intelligible. Malgré l'apparent souci de l'espace et l'expérience d'aliénation de Van Go, il n'y avait rien de remarquable dans l'écriture qui me renvoyât à moi-même. Quand je me surpris à ces pensées, je fis la découverte la plus affligeante de toutes : je me torturais l'esprit avec de prétentieuses inepties pour éviter de confronter la véritable accusation qui pesait sur moi : je m'étais vendu. » (p. 225-226)
« Le terrifiant dans l'histoire est qu'en niant ou refusant toute complicité dans la marginalisation des auteurs "noirs" je me retrouvai au plus loin de l'autre côté d'une ligne n'ayant d'existence qu'au mieux imaginaire. Pour moi, écrire ne relevait ni du témoignage ni du geste de protestation sociale (même si, d'une certaine façon, écrire en relève toujours) et je n'étais pas non plus porté par une prétendue tradition orale. Je n'avais jamais eu l'intention de libérer qui que ce fût, ni de produire la peinture authentique dernier cri de la vie de mon peuple, n'ayant jamais eu de peuple dont j'eusse une idée assez précise pour le peindre. Si j'avais écrit juste après le Reconstruction, peut-être aurais-je eu pour propos d'élever la condition de mes semblables soumis à l'oppression. Mais l'ironie était superbe. J'étais victime de racisme pour n'avoir pas reconnu de différence raciale ni accepté que mon art fût défini comme un exercice autobiographique émanant d'un représentant d'une race. Je devais donc d'échapper à l'oppression économique à un livre du même acabit que ceux que je jugeais racistes. » (p. 294)
Percival Everett jongle ainsi avec habileté entre les genres littéraires, passant de la parodie au questionnement sur l'art ou à la quête identitaire, sans jamais se départir d'une dérision douce-amère des plus opportunes. Son ironie s'humanise toutefois dans le cadre des relations familiales. Il évoque avec tendresse l'héroïsme quotidien d'une sœur médecin, les absences loufoques d'une mère alzheimerienne, la découverte de la double vie d'un père ou les incertitudes d'un frère dont l'homosexualité se révèle tardivement. Il met en évidence avec finesse cet amour maladroit qui se joue entre des êtres merveilleusement ordinaires.
Ce récit est magistral : une parodie acide à l'ironie burlesque infaillible et à l'érudition réjouissante, le tout porté par une construction étonnante, inventive et originale, une écriture fluide et attentive et un grand sens des dialogues. Du grand art, intelligent et jubilatoire !
le cri du lézard
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Message |
apo
Sexe: Inscrit le: 23 Aoû 2007 Messages: 1965 Localisation: Ile-de-France
Âge: 52
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Max
Inscrit le: 10 Aoû 2006 Messages: 403
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amiread1
Sexe: Inscrit le: 16 Mar 2007 Messages: 812 Localisation: Chateaudun
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ingannmic
Sexe: Inscrit le: 22 Aoû 2008 Messages: 737 Localisation: Mérignac
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Posté: Sam 28 Nov 2009 19:28
Sujet du message:
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Tout à fait d'accord. J'en profite pour inclure la note de lecture que j'ai publiée il y a quelque temps sur le blog des chats de bibliothèque :
Fils, petit-fils, et frère de médecins, Thelonious « Monk » Ellison a reçu une éducation et une instruction qui, liés à une intelligence hors du commun, lui ont permis d’être un écrivain talentueux. C’est un romancier exigeant, dont l’œuvre est difficilement accessible, et qui a la « particularité » d’être noir. « Particularité » non pas pour lui, qui ne s’est jamais véritablement interrogé sur l’incidence de sa couleur de peau, mais au regard des autres, et notamment de ses lecteurs potentiels, pour lesquels son apparence physique induit l’écriture d’une certaine catégorie de romans. Catégorie dans laquelle se classe notamment le dernier roman de Juanita Mae Jenkins, auteure noire qui vient de publier un best-seller dont l’action se déroule dans un ghetto et qui met en scène des personnages incultes et caricaturaux, issus des bas-fonds des quartiers afro américains. Thelonious est perplexe et furieux face au succès de cet ouvrage dénué de toute qualité littéraire…
Suite à l’assassinat de sa sœur par des militants anti-avortement, il se voit contraint de s’occuper de sa mère, qui sombre peu à peu dans la maladie d’Alhzeimer, puisque son frère Henry, homosexuel en prise avec un divorce difficile, en est incapable. Cette responsabilité implique une importante participation financière qu’il ne peut assumer, jusqu’au jour où un manuscrit adressé à son agent conquiert les éditeurs. Et c’est là que cela se corse…en effet, ledit manuscrit n’est autre qu’un exercice de style que Thelonious a réalisé sans le prendre au sérieux, dans lequel il s’essaie à cette fameuse « littérature afro-américaine ». Le résultat : un court récit avec pour personnage principal un jeune noir vivant dans les quartiers pauvres, haineux, violent, et qui ne sait pas aligner 2 mots sans les ponctuer de multiples grossièretés. Le comble, c’est que ce roman rencontre un succès phénoménal parce qu’il est considéré comme « vrai » et authentique !
Pour lui qui s’était juré de ne jamais compromettre son art, la situation est difficile : il a l’impression de devoir assumer une « négritude » qu’un lui impose comme étant une composante essentielle – sinon comme la composante principale- de sa personnalité. C’est comme si les rôles étaient inversés, aussi : c’est le public qui impose à l’artiste ce qu’il doit « produire », et non plus l’artiste qui livre au public le résultat d’un travail volontaire et réfléchi de sa part.
La place qu’occupent d’ailleurs écrivains et autres peintres ou sculpteurs dans la société et les messages qu’ils peuvent faire inconsciemment passer par l’image que l’on a d’eux, est une préoccupation qui revient dans « Effacement » à intervalles réguliers, d’une façon tout à fait originale, mais que je ne dévoilerai pas ici, par égard pour ceux qui décideraient de le lire… C’est un roman très riche, varié, ponctué d’anecdotes et de réflexions qui vont de conseils sur la pêche à la truite à des explications sémantiques parfois absconses.
J’ai dans un premier temps lu « Blessés » du même auteur et j’ai été frappée par les similitudes existant entre les personnalités des narrateurs des 2 romans : ce sont des hommes cultivés, intelligents, avec un sens des responsabilités affirmé, et en même temps d’une grande humilité. De plus, dans les deux récits, l’auteur évoque les difficultés à imposer aux yeux des autres une image de soi qui serait déterminée non pas par notre apparence mais par notre personnalité, nos actes et tout ce que l’on peut exprimer.
Magistral !!
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