L’empreinte de l’ange est celle dont nous garderions la trace entre la racine du nez et la lèvre supérieure, laissée par le doigt qu’il poserait sur la bouche de tout être à naître, en signe de silence, pour lui faire oublier le paradis dont il vient, sous peine de quoi il n’accepterait jamais de venir au monde.
Ce n’est pas vraiment le paradis que Saffie, l’héroïne allemande du roman de Nancy Huston, tente, elle, d’oublier, mais plutôt l’enfer, lorsqu’elle débarque à Paris en cette année 1957...
A la recherche d’un emploi, elle répond à une petite annonce et échoue comme bonne à tout faire chez Raphaël, flutiste talentueux et fortuné. Pour lui, c’est le coup de foudre : il est fasciné par cette jeune femme passive et silencieuse, qui ne lui oppose aucune résistance ; il ne s’est pas écoulé quatre mois depuis leur rencontre qu’ils sont mariés, et que Saffie attend un enfant. Mais rien ne semble pouvoir épanouir ni même émouvoir la future maman…
On ne peut pas dire que le personnage de Saffie soit particulièrement attachant. Sa passivité agace, même si l’on pressent le poids de souffrance qu’elle dissimule. Face aux drames que l’Histoire a imposés à son existence, elle a choisi –si tant est que l’on puisse qualifier de choix les mécanismes que l’inconscient met en place pour se protéger- d’adopter une attitude quasi autistique, de se fermer totalement à tout ce qui l’entoure. Et même lorsque la découverte de l’amour la fait sortir de sa coquille, elle reste indifférente aux événements qui agitent le monde autour d’elle. Car l’histoire ne laisse jamais de répit aux hommes : à peine plus de 10 ans après la barbarie de la 2nde guerre mondiale, l’Algérie et la France sont de nouveau le théâtre de l’horreur.
A la distance avec laquelle Saffie perçoit le contexte historique et politique, Nancy Huston oppose l’implication d’Andras, ce juif hongrois qui ne peut tolérer sans agir que l’impensable se reproduise, que la récente tragédie qui a secoué l’humanité n’ait pas servi de leçon… peu importent pour lui l’origine, la nationalité ou les croyances religieuses des victimes d’exactions, son regard et sa sensibilité d’humaniste le poussent à s’engager quelque soit le combat, puisqu’il s’agit de lutter contre l’injustice.
Dans «L’empreinte de l’ange», l’auteure semble vouloir démontrer l’indissociabilité qui existe entre l’Histoire et les hommes, l’Homme faisant l’histoire, les individus la subissant, les destins personnels et les événements historiques s’entremêlant sans cesse.
Nancy Huston sait avec talent happer le lecteur dans son récit. Les mots sont justes, jamais superflus, le ton est direct. Même la relation de situations tragiques est, sous sa plume, dénuée de tout misérabilisme.
Elle sait aussi manier habilement l’ironie et le sarcasme, qu’elle utilise généralement dans le but de fustiger les manifestations de la bêtise humaine.
Une fois de plus, l'auteure de l'inoubliable "Instrument des ténébres" ne m'a pas déçue !
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