[Immigration : fantasmes et réalités - Pour une alternative à le fermeture des frontières | Claire Rodier]

Les politiques de l'immigration font l'objet d'un discours si idéologique et électoraliste (entraînant toute une série de passions et de phobies irraisonnées) que la plupart des idées courantes ne sont que "fausses évidences, de celles qui ne s'imposent que parce qu'elles sont sans cesse assenées" (p. 119). Cet ouvrage collectif est un recueil de très courts rapports de femmes et hommes "de terrain" qui essaient, par l'épreuve des données, des informations généralement opaques de la littérature grise, par des recherches impopulaires et non médiatisées (de résistance, pourrait-on presque dire) de torpiller l'hypocrisie de ces politiques publiques. Très peu d'espace est accordé à la réflexion abstraite, à un recul plus académique, à des considérations éthiques ou politologiques de plus large envergure : certains lecteurs pragmatiques apprécieront cela, alors que pour ma part je reste sur ma faim. Mais tous, avant même de se demander si la conclusion que "Il faut en finir avec la fermeture des frontières" ne repose pas sur autre chose que de l'irénisme et ne relève pas de que l'utopie, sentiront s'ébranler toutes les pseudo-certitudes auxquelles ils ont adhéré jusqu'à la lecture, parmi lesquelles :
- la mutation des politiques migratoires françaises depuis 1974 avec l'alternance des gouvernements de droite et de gauche,
- la dichotomie entre immigration "choisie" et "subie",
- le lien entre misère et migration ou entre développement et non-migration,
- les coûts et bénéfices réels des migrations et de la "maîtrise des flux migratoires",
- la défense des valeurs occidentales par rapport au droit d'asile et aux conventions internationales en vigueur,
- l'opportunité de l'harmonisation européenne et de la coopération avec les pays de transit (notamment nord-africains),
- la véridicité de la lutte contre les passeurs et autres réseaux mafieux de trafics...
J'ai enfin particulièrement apprécié l'épilogue, quelques pages tirées de Le Monde d'hier de Stefan Zweig, dans lesquelles le grand auteur manifestait sa stupéfaction face aux restrictions apportées à la liberté de mouvement des hommes et, de façon générale, à leurs droits, après la Première guerre mondiale. Que ne dirait-il aujourd'hui !
C'est dans les années 1930 qu'il écrit encore : "[...] le premier phénomène visible par lequel se manifesta cette épidémie morale de notre siècle fut la xénophobie : la haine ou, tout au moins, la crainte de l'autre".

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Entièrement d'accord, il faut être objectif, et toujours concerter deux avis divergents, or concernant ce sujet bien précis, il se trouve que j'ai déjà lu moult ouvrages, de tous les bords. Alors c'est vraiment par expérience que je me permets d'apposer ce smiley, parce que justement ledit pédigrée des auteurs est, en ce qui me concerne, sans équivoque sur le contenu de leurs écrits. Pour ce qui est de l'anthropologie, je préfère m'intéresser aux travaux du regretté Levi-Strauss

Salut et merci Apo pour ta note de lecture, sur un sujet sensible, auquel je suis moi aussi sensibilisé.
Le pédigrée? Oui, en effet ça en dit long. Après, à chacun d'apprécier ou pas l'intervention de ces "groupes", n'empêche qu'on a deux niveaux : un niveau politique (qui pour moi est secondaire) qui doit bien régler la vie d'une cité, d'un pays, et un niveau humain, et bon sang, comment renvoyer chez eux des hommes, des femmes et des enfants qui dans la plupart des cas vont se faire bousiller? Ok, il existe de la fraude. Sait-on l'évaluer, cette fraude? Quels outils peut-on mettre en place pour l'évaluer? Quand on considère certains pays comme "sûrs" alors qu'ils sont passablement volcaniques (je n'ai pas dit balkaniques, remarquez), quelle est la valeur des dits outils?

Bref, on a d'un côté l'humain et de l'autre le politique, je remarque que ça ne coïncide pas souvent. Quoique vu sous l'angle "l'erreur est humaine", on peut dire que la politique est humaine.

Lévi-Strauss, oui, c'est pas mal, parce que c'est le monument fondateur de l'anthropologie moderne, mais en lisant Girard, on voit aussi que Lévi-Strauss est passé à côté d'une certain nombre de choses, quitte à lui attribuer des erreurs d'appréciation aussi, tout comme Freud n'est pas la panacée en matière de psychologie (mais on ne peut pas passer à côté de ses découvertes! il est fondamental quand-même), ou Marx je dirai, côté politique (même si, comme les autres, il est largement dépassé).

Mais je reconnais, TooRop, que sortir d'un discours politisé pour constater l'état humain, c'est un effort difficile, parce qu'on porte ce qu'on porte, et c'est pas facile d'enlever ses vêtements devant les autres. Moi, par exemple, je n'y arrive pas.

Bonjour Laudateur, bonjour à tous,
Je contreviens ici à deux de mes décisions : à celle, générale et ancienne, de ne pas noter sur l’Agora de lectures autres que de loisir, et à celle, particulière et récente, de ne plus répondre aux provocations de Toorop.
Je le fais afin d’offrir à votre méditation une pensée sur la Grande Migration à laquelle il est quasiment impossible d’accéder depuis la France : le travail vicennal du professeur émérite de littératures comparées à La Sapienza (Rome) Armando Gnisci – dont le cursus honorum permettra sans doute à Toorop le discrédit injurieux de la qualification canine de « pedigree » (qui s’écrit sans accent aigu, en bon français aussi).
Gnisci, donc, interprète et vit la Grande Migration comme une formidable opportunité historique qui nous est offerte en don, en paix et sans violence, par des populations qui ont souffert de notre domination coloniale ; le don consiste dans la possibilité d’une décolonisation mentale et éthique réciproque. Il s’agit du revers exact du rapport à l’Autre que, depuis le début de la modernité – 1492 –, la civilisation européenne n’a su concevoir que par l’outrage, l’asservissement, toute forme de violence allant jusqu’à l’extermination. A l’encontre de nos efforts de mauvaise foi pour nous occulter, à nous-mêmes d’abord, que le fondement de notre « supériorité » continue de reposer sur des gestes, le moindre desquels a pour effet d’appauvrir l’Autre (y compris la biosphère, irréversiblement), le migrant est à même de nous montrer un sens de la rencontre avec l’Autre, fondée sur la créolisation et la co-évolution : il nous invite à interpréter la rencontre, au lieu d’interpréter l’Autre.
Décoloniser notre propre esprit ? Notre mentalité eurocentrique ainsi que notre volonté de puissance inassouvie ne nous ont-elles pas rendus des gens sans âme et sans joie (accessoirement forts consommateurs d’antidépresseurs et d’autres psychotropes), alors que les Autres manquent simplement du nécessaire à la dignité matérielle ?
De là aux politiques publiques, bien sûr… le chemin est long !

@ Toorop : Ne lisez surtout pas Tristes tropiques ; ne lisez pas La Pensée sauvage ; ne lisez pas non plus Race et Histoire… ! Vous auriez trop de mal – vous, comme les chroniqueurs de Radio Courtoisie, pour autant que j’en sache… – à réfuter ou à violenter une pensée si généreuse, si attentive à et curieuse de l’Autre, la pensée magistrale d’un grand homme qui, à la fin de ses jours, était tellement aigri contre un monde qui se précipite à détruire la diversité culturelle et humaine, c’est-à-dire tout ce qui fait le sens même de l’œuvre du maître regretté…