Le rythme lent du roman noir de Craig Johnson est dynamisé sans répit par des dialogues et des réflexions incisifs, intelligents et souvent franchement drôles. Dans cette contrée du Wyoming, sur les contreforts des Bighorn Mountains, les habitants ont le sens de la répartie et en usent avec brio. Le laconisme de certains dialogues en dit toujours beaucoup plus long que des tirades interminables. L’intrigue de départ est pourtant mince. Un jeune homme peu aimé dans la région, Cody Allen Pritchard, est retrouvé mort dans la montagne près de la réserve Cheyenne, abattu par un tireur d’élite : « Celui qui avait envoyé le jeune homme ad patres avait mis en plein dans le mille, l’index souple et tranquille sur la gâchette. » Le shérif Walt Longmire hérite de l’enquête. Depuis le décès de sa femme Martha, Walt regarde sa vie partir à vau l’eau, laissant sa maison inachevée, sans aucun entretien, au diapason de sa propre vie sentimentale : « Je n’ai rencontré personne depuis le décès de Martha. C’est ce qui s’appelle pousser la vertu jusqu’au vice… » Le meurtre, cependant, va réveiller des fantômes car Cody Pritchard a été impliqué dans le viol collectif d’une jeune Indienne, Melissa Little Bird, il y a deux ans : « Elle aurait pu être une de ces mannequins eurasiennes que l’on voit dans les magazines glamour ridiculement parfumés mais elle n’est que la petite Little Bird qu’on a emmenée dans une cave pour y être violée à la chaîne par quatre adolescents qui se fichaient pas mal qu’elle souffre du syndrome d’alcoolisme fœtal ». Les quatre adolescents démasqués n’ont écopé que d’un sursis. Aujourd’hui, l’assassin chercherait-il à venger un crime demeuré impuni aux yeux de la communauté cheyenne d’autant plus que Jacob Esper, appartenant lui aussi au sinistre quatuor inculpé, est retrouvé mort avec un visage « figé dans une expression incrédule », une balle experte fixée dans le plastron ?
Comme dans l’incroyable roman de Louis Owens, Le chant du loup, Craig Johnson sait dilater la pensée de son personnage principal pour l’accorder au cosmos et c’est sidérant de beauté, de poésie et de profondeur. La marche forcée dans le blizzard, transcendée par un chamanisme diffus, est une grande réussite.
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