Me voilà réconciliée avec Phillipe Claudel.
Je n'avais que peu apprécié "j'abandonne" et encore moins "Quelques uns des cents regrets". J'avais regretté leur atmosphère grisatre qui contrastait durement avec le beau mois de juillet d'alors: cigales, festival et abricots.
Il est des livres, et peut-être à plus juste titre des auteurs, qui s'affaiblissent ou au contraire se révèlent selon les conditions de lectures.
J'ai lu "les âmes grises" de retour à Ankara, en pyjama enfoncée dans mon fauteuil près du radiateur et de la fenêtre. Et là, ô miracle, j'ai pu en savourer toute les variations de sa palette de gris.
En effet c'est autour de cette palette que s'articule le livre.
"Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous."
On y retrouve de l'idée de Romain Gary dans "la vie devant soi" (que je ne cesse de prendre comme référence depuis l'avoir lu cet été): "rien n'est blanc ou noir et que le blanc, c'est souvent le noir qui se cache et le noir, c'est parfois le blanc qui s'est fait avoir."
Et en éternelle relativiste et opposante au manichéisme ambiant (qui certes fait de beaux contes de fées et de supers films bollywoodiens m'enfin c'est autre chose...) ce ton ne pouvait que me plaire.
Mais revenons en au livre.
Il s'agit d'un double drame.
Un, à dimension locale. Un meurtre. Et son enquête. Ouvert.
L'autre à dimension plus personnelle et qu'on devine entre les mots pudiques d'un narrateur dont on ignorera l'identité et le rôle pendant la moitié du roman.
Il nous dépeint, page après page, une mozaïque de personnages, d'âmes grises, il plante le décor de ce village près des tranchées, l'ambiance à la fois préservée de la guerre mais sans pouvoir y échapper, les bruits, les odeurs, jusqu'à ce qu'enfin, pour faire avancer son histoire il soit obligé de se dévoiler, de se mettre en scène, de s'impliquer à regret nous semble t-il.
Le tout nous donne un arc-en-ciel de gris intéressant, une intrigue aux contours flous, un arrière plan à peine présent et pourtant déterminant, une écriture, elle, sans hésitation, un ton intimiste, bref un bon livre.
Alors est-ce la chaleur de mon radiateur et les températures extérieurs en dessous de zéro qui m'ont réconciliées avec Claudel ou ce livre est-il vraiment meilleur que les autres?
Pas facile à dire.
Mais je crois bien qu'un autre livre de lui traine par là...
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