« Donc, au début, elle sourit.
C'est un sourire discret, presque imperceptible, de ceux qui se forment sur le visage parfois, sans qu'on le décide, qui surgissent sans qu'on le commande, qui ne semblent reliés à rien en particulier, qu'on ne saurait pas forcément expliquer.
Voilà : c'est un sourire de presque rien, qui pourrait être le signal du bonheur. »
Donc, au début, elle sourit Louise. En robe rouge, belle, sûre d'elle, elle attend Norman, son amant, dans un café où elle a ses habitudes. Elle attend en échangeant quelques mots avec Ben, l'ami barman. Mais quand la clochette de la porte grelotte, ce n'est pas Norman qui entre, mais Stephen, l'homme qui l'a quitté pour une autre voici 5 ans de cela... Retrouvailles non préméditées bien délicates...
Philippe Besson a pris pour point de départ à son histoire un tableau d'Edward Hopper, Nighthawks (Les Rôdeurs de la nuit, 1942). Sur la toile : un bar, un barman en tenue, une femme en robe rouge accoudée au comptoir, l'air pensive, le regard dans le vide, un homme a ses côtés. Plus loin, dans l'ombre, un autre client. Temps suspendu.
De ce tableau, Philippe Besson a extrait le décor et les personnages de son roman. À chacun il a donné un nom, un caractère, une histoire. Il a imaginé ce qu'ils pensent et se disent. Il a brodé sur leurs amours et leurs souffrances. La narration passe d'un personnage à l'autre. Méfiance, espoir, crainte, maladresse, fébrilité, pudeur, doute, amertume, confidences : à mesure que la nuit tombe, les mots se font plus denses. Philippe Besson rend palpable le poids de l'incertitude et des malentendus, le poids de ces silences dont sont tissées nos vies. Il sait dire ce temps où l'amour de l'un n'est plus celui de l'autre, où les cœurs sont désaccordés :
« Il leur faudra du temps pour se réapprivoiser, pour se reconquérir peut-être, ou pour décider que leur histoire commune est bien révolue. »
L'exercice de style était périlleux, Philippe Besson l'a réussi avec subtilité. Car si le sujet peut paraître ordinaire, le traitement est remarquable. Le style et l'écriture de Philippe Besson subliment cette thématique a priori banale, ce huis-clos un soir d'orage, en arrière-saison. Son écriture si évocatrice nous donne à voir (à vivre) la scène, littéralement. Il se dégage de son récit, tout en retenu et profondeur, une mélancolie douce et captivante, un certain désenchantement, une amertume presque sereine, presque tendre. Cette histoire n'est qu'un instant, un fragment de temps arrêté, dans lequel se dévoilent des sentiments pudiques.
« Stephen extrait d'une de ses poches les clés de sa voiture. Il tend son bras gauche pour indiquer à Louise que le passage est ouvert devant elle. Ben les observe : il leur trouve l'assurance des couples les plus établis en même temps que la nervosité des débutants. C’est quelque chose de presque imperceptible, comme un tremblement, un frisson à la surface de la peau, une timidité autour des yeux, une très légère hésitation à l'instant d'emboîter le pas de l'autre. Ben les observe et il a le cœur serré. »
le cri du lézard