Consternés par la mise en coupe réglée du grand ouest américain ; révoltés par les compromissions qu'entretiennent les autorités fédérales avec les entreprises prédatrices, quatre "éco-warriors" avant la lettre décident de s'opposer par le sabotage a tout nouvel empiètement des multinationales sur les terres vierges des déserts de l'ouest. Edward Abbey ne fait pas dans la dentelle.
Dans son roman il réunit quatre personnes très dissemblables-un chirurgien quinquagénaire qui passe ses week-end à incendier les panneaux publicitaires qui défigurent les paysages-sa maitresse une superbe créature au look de Marilyn-un Mormon organisateur de raids aventureux en rupture de ban- et enfin le personnage que j'ai trouvé le plus attachant : Georges Hayduke, un ancien béret vert qui revient du Viet-Nam (le roman se déroule en 1975), un Rambo qui aurait définitivement troqué le M16 contre quelques neuronnes supplémentaires. Ces quatre Pieds nickelés vont semer le désordre sur tous les chantiers d'autoroutes, les exploitations forestières, les concessions minières qui défigurent l'Utah et l'Arizona.Leur tactique est redoutable ; destruction méticuleuse de tous les engins (c'est pratique , avec E. Abbey on apprend tous les noms des dumpers,excavateurs et autres scrapers... Caterpillar-Allis Chalmers-Euclid....), enlèvement de tout repère topographique sur les chantiers,déraillement si nécéssaire d'un train de minerai....Mais leur grand projet c'est faire sauter le barrage qui barre le cours supérieur du Colorado, ouvrage honni qui du fleuve sauvage en fait un ruisselet décati.
Alors,bien sûr, ce roman est éminemment américain : courses poursuites,les bons-les méchants,grands espaces,road movie incessant entre les différentes"actions" de nos héros... et...et... happy end , (ménagé jusqu'à la fin du livre par un retournement habile des situations...). Mais ,tout "américain" qu'il soit (Robert Redford en a acheté les droits...) ce roman est tout sauf politiquement correct (cette expression qui en fait ne veut plus dire grand chose) ; nos Pieds nickelés sont peut-être écolos avant la lettre mais parfois inconséquents avec eux-mêmes ; le béret vert jette à tout va ses canettes de bière dans la nature et tout le monde roule en 4X4 ! mais le plus politiquement incorrect c'est encore l'auteur ; car l'écologie radicale de E.Abbey a peu de chose en commun avec notre écologie "environnementale"à la française : ronds-points fleuris,pistes cyclables et recyclage à tous les étages....Edward Abbey n'est pas un humaniste au sens commun du terme; il ne veut sûrement pas remettre l'homme au centre du monde, au contraire...Il serait ravi de la disparition de l'espèce humaine. Pour lui la "Nature" (avec ou sans majuscule,comme vous le sentez....) est prioritaire; les déserts,ses déserts, (par extrapolation la Terre-Gaïa) doivent rester vierges de toute atteinte humaine,autant que faire se peut car l'action des hommes est toujours destructrice, et ceci pour des mobiles rien moins que nobles (accroître les fameuses richesses, le fameux Progrès -tarte à la crême du 19e siècle recyclé au 20e puis bien parti pour être un "must" du 21e).
Abbey aimait tellement les grands espaces de l'Ouest qu'il désira y être enterré ; sa tombe est d'ailleurs inconnue (merci Franz!). Enfin, et ceci est un avis tout personnel, transposons les données du livre dans un autre pays, la France par exemple, à une autre époque, aujourd'hui tiens, et nous pouvons être assurés que les révoltes de nos quatre Pieds nickelés auraient de quoi s'employer ,Grenelle de l'environnement ou pas... (quelle galéjade ce Grenelle!).
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