[Magasin général. T. 3, Les Hommes | Régis Loisel, Jean-Louis Tripp]
Le dégel annoncé à Notre-Dame-des-Lacs, dans la province de Québec, avec l’arrivée imminente du printemps est aussi le temps des glaces au sein de la communauté canadienne. En effet, les hommes reviennent de leurs bûcheronnages hivernaux et découvrent Serge Brouillet qui parle comme un ‘Français de France’. Le défunt mari marri de Marie jacte toujours en voix off et moralise à tout crin mais personne ne l’entend hormis le lecteur. « Le ver est dans le fruit » dit-il. Le mort file la métaphore. Le village devient un « panier » et tous les fruits vont être attaqués par le ver, c’est-à-dire la jalousie que des hommes bruts de décoffrage ressentent vivement vis-à-vis de Serge, cuisinier raffiné et homme de goût. Marie couve un amour ardent pour Serge mais celui-ci sent que les tensions exacerbées le poussent sur le départ. Marie saura-t-elle lui avouer ses sentiments ? Serge saura-t-il les entendre ? Les dérapages sont fréquents dans ces contrées glissantes : une langue fourche, une roue dérape, un poing cogne… Dans une communauté stricte, des comportements autres sont-ils envisageables ?
Le 3e tome de Magasin général, Les hommes, tient amplement les promesses des deux précédents volumes, Marie et Serge. Les personnages prennent de plus en plus d’épaisseur et les auteurs, Loisel et Tripp, ne savent plus clore leur trilogie. Ils envisagent trois autres albums afin de donner davantage corps à une histoire qui pourrait être banale mais qui reste prenante. Loisel est maître d’œuvre et orfèvre puisqu’il scénarise et dessine. Tripp reprend le story-board très précis de Loisel et lui donne un contour plus net et une matière plus mœlleuse. Lapierre s’attelle aux couleurs avec une réussite évidente. Quant au parler québécois, Beaulieu relit, adapte et peaufine un texte vivant, compréhensible et bourré d’archaïsmes touchants. Il était si facile de tomber dans la niaiserie et les bons sentiments. Loisel évite avec maestria les écueils et les poncifs. Les sentiments humains sont complexes et ne se résolvent pas linéairement, d’un coup, avec un tour de passe-passe scénaristique. Le lecteur a envie de suivre la vie de la bourgade et de ses habitants, si loin et si proche de nous.
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