Vincent, ancien loser
made in France, est parti il y a dix ans vivre sa
success story en Angleterre, sans un regard pour ce qu'il laissait derrière lui : la France et sa province engourdie, ses parents et leur pavillon "qui craint", son frère et sa vie étriquée, et surtout Etienne, son ami, son double inversé, son compagnon de "lose" dont il n'a plus jamais pris de nouvelles. Aujourd'hui, il a réussit comme on dit : la quarantaine conquérante, marié à une femme de la "haute", heureux papa de deux fillettes, patron d'une chaîne de restaurants en plein essor, il revient dans sa ville natale :
«Je n'étais pas assez idiot pour croire que j'allais baigner dans une douce lumière mordorée et que les angles aigus se seraient émoussés au point de devenir indolores. Je n'étais pas assez naïf pour ne pas imaginer que je m'énerverais contre mes parents et leur lenteur, contre mon frère et son chauvinisme. Ou que Fanny n'avait sans doute aucune envie de me voir. Et qu'Etienne avait d'autres chats à fouetter et m'enverrait paître.
Mais, comme d'habitude, la curiosité l'emportait sur tout le reste.
La curiosité, le voyeurisme – le besoin de m'assurer que j'étais plus heureux que tous ceux que j'avais laissé là-bas.»
Pendant sa semaine française, Vincent va devoir faire face à ce (ceux) qu'il a "oublié" - volontairement - derrière lui. Et il va se prendre au passage quelques baffes en pleine tête et quelques humiliations.
"Dérangeant" est le terme que j'ai le plus souvent lu dans les avis concernant ce livre. Pourquoi "dérangeant" ? Certainement en grande partie parce que Vincent, le personnage principal, est odieux. C'est un sale con égoïste, exaspérant de suffisance. Philippe Blondel met à nu les tréfonds d'un homme et ses turpitudes et ce qui nous dérange c'est sans doute que, bien que Vincent soit détestable, on lui ressemble tous un peu, dans nos petits arrangements avec notre conscience... Pas facile de se regarder dans un miroir grossissant !
Dérangeant parce que, outre Vincent, les personnages secondaires ne valent guère mieux, entre inertie et amertume. Le seul personnage sur lequel j'aurais aimé en savoir plus est celui qui reste sans doute le plus énigmatique : Etienne, l'ami abandonné sur le bord de la route, dont on n'entend jamais la voix propre, mais qui nous est raconté par bribes imprécises et parfois contradictoires par les autres personnages.
Dérangeant aussi par son style grinçant, son déroulement implacable (très bien construit et maîtrisé) qui mène à un final sans véritable issue.
Dérangeant parce que ce roman doux-amer sur l'amitié, la loyauté et la trahison, les certitudes et incertitudes est à la fois touchant, un peu cruel et pas très gai.
Mais Blondel nous avait prévenu :
This is not a love song...
le cri du lézard