Dans quelles circonstances la migration des parents peut devenir la cause d'une pathologie de mutisme chez des enfants? Une migration mal vécue, le sentiment de trahir la patrie mythique en mieux parlant la langue du pays d'arrivée que celle du pays d'origine des parents, peut-elle, à elle seule, expliquer le refus de finalement parler toute langue? Ce serait de l'éthnopsychologie. L'auteure n'y adère pas, préférant joindre au traumatisme de la migration d'autres facteurs, notamment la projection d'un deuil symbolique etc.
Il n'empêche que la migration, tout comme elle peut devenir un formidable moteur poïétique de la création littéraire, par le besoin plus puissant d'exprimer son identité différente, tout comme elle peut donc être la source d'une "poétique de la migrance", peut aussi inhiber complètement toute possibilité d'expression, par le mutisme. Et le seuil, comme souvent dans les choses du psychique, est mince et fragile. Il s'agit donc pour moi surtout d'avoir exploré ce seuil entre bilinguisme (ou polyglossie, en tout cas capacité d'expression vertigineusement accrue) et son revers absolu.
La recherche se compose de l'analyse très approfondie de 8 cas cliniques. Mais je suis tout aussi interpellé par l'excellente introduction, où l'auteure, avec une remarquable perspicacité d'introspection et une touchante sincerité (que n'ont pas la plupart des chercheurs attitrés dans ce domaine), nous fait partager son propre parcours de bilinguisme et de double identité, comme fille d'immigrants maghrébins.
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