Le recueil d’Auxeméry (né en 1947), Les Animaux industrieux, débute en force avec « Volumen », daté de mars 2005, poème composé de très courtes strophes en prose, scandées et reliées par des phrases lapidaires reprenant comme leitmotiv une lassitude à vivre :
« On va vers sa fin. On est terminal. On ne germera plus » mais aussi unies par une reprise de possession progressive de soi :
« On respire donc, on respire, on revient ». L’âge déjà avancé, les ruines, la légèreté envolée, le poète est pris au piège du cercle temporel qui érode les élans mais il se ressaisit et décide de danser avec les serpents dont la langue
« darde et fascine ». Un des tous derniers poèmes du recueil, « Sortir sortir des cercles », daté de juillet 2004, joue en écho avec Volumen tant dans la thématique que dans la structure et se clôt par un vers qui remue :
« Le désert a flambé dans la nuit ». Tout est sensation, tout fait sens et se répond. Dans sa nuit animale, le poète fait jaillir entre les mots percutés, des images comme les silex frappés, des étincelles. Le feu prend tout de suite, incendie jusqu’aux blancs typographiques et embrase le lecteur qui halète sous l’écriture carnassière, tendue, acérée. Entre ces deux longs poèmes de 8 pages et 12 pages posés de part et d’autre du recueil, tous les poèmes jouent leurs partitions sur une seule page. Chacun porte en titre le premier vers qui amène irrésistiblement à la lecture de l’ensemble, ainsi :
« perles de sang… // perles de sang ou perles de rosée sur le fil de l’épée, / les mots gouttent de ma langue, & ma soif s’apaise… » ou encore :
« qui ne voit… // qui ne voit / c’est la huppe qui parle / qui ne voit que la couleur des choses / n’en connaît pas le poids… ». Les pays traversés sont brièvement précisés mais ils dessinent autant de terres de mémoire intimes et fécondes. Quelques photographies noir & blanc parsèment le livre et apportent par leur indétermination une résonance poétique particulière. La trace raconte la genèse de l’être. Auxeméry sait établir une biographie complète à partir d’une empreinte.
« Il convient de marcher / simplement marcher vers une mort / dérisoire & magnifique / & les fous se mettent à courir / où les anges prennent soin / de ne poser le pied qu’à contre-jour. » Il s’agit bien ici d’une poésie incarnée et la marche à pied, chamanique, est un puissant révélateur de la part animale. Les sensations produisent des intuitions. Le poème en garde les effluves, en restitue les visions :
« Par les travers, par les pentes et les dévalées, / à la limite de l’embolie, vers le précipice, / c’est à l’obscurcie, à l’effarée, à la grippe-souffle, / qu’on aura vu, mais vu ! Et on se sera dissous, en effet ». Il est impossible au lecteur de sortir tout à fait le même après s’être empoigné avec les vérités qui fusent tout au long du recueil, enveloppées des désirs et des douleurs du poète :
« vois donc derrière l’effondrement de tout / cette main qui fait lever les étincelles ». Je vois et je dis « merci ! ».
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