Les éditions 6 Pieds sous terre, les bien nommées, sises à Montpellier, ont édité en 2002 une bande dessinée en noir, blanc et gris de circonstance intitulée Welcome to the Death Club du grand pince-en-rigolant Winshluss, recueil de courts récits parus entre 1998 et 2001 dans les revues underground et défuntes, Jade et Sierra Nueva. La mort est le lien entre les sept histoires allant de deux pages à quatorze pages, le dernier récit, Père & fils, le plus conséquent, le plus irrésistible aussi. Le père La Mort, costard, cravate, chapeau, cul-de-jatte, voletant au ras du sol, la tête de mort inexpressive mais les muscles des bras noueux, mène son train-train quotidien : café, journal (Dead Town), éducation de son fils auquel il confie la peinture de la barrière en bois qui entoure la maisonnette pendant qu’il part bosser. Son job consiste à comptabiliser les morts et à expédier les âmes ad patres. C’était écrit alors La Mort note. Il lui faut son quota. Elle exerce son métier avec sérieux. On la retrouve partout où elle frappe : meurtre, suicide, crash aérien… Puis il se fait tard. Un coup d’œil à la montre, Papa La Mort décide de rentrer au bercail. La journée est finie. Pendant ce temps, le fiston (qui dispose d’yeux dans les orbites) a préféré regarder la télévision. Un documentaire lui révèle sa vocation d’ange gardien. Il découpe et colle des ailes en papier dans son dos. Le père s’énerve en constatant que la peinture n’a pas avancé. La fessée est inévitable. Le fils fugue, emprunte la barque cercueil pour traverser le Styx et pénétrer notre monde. Son premier acte consiste à sauver une vache de l’abattoir. Peine perdue, catastrophe assurée. Le bovin laissé ahuri au milieu de la route provoque un accident de voiture mortel. Le mot « fin » est apparu prématurément dans la case où le fils La Mort sourit de toutes ses dents manquantes, le pouce levé, l’auréole en biais, heureux de sa bonne action. Là, tout se complique. Les zombies sèment la mort. Comme dans l’apprenti sorcier, le rejeton ne maîtrise plus rien. Heureusement, le père débarque avec son aspirateur d’âmes de marque Hoover Soul, sorti littéralement de son chapeau. L’épilogue serait presque émouvant avec les retrouvailles père fils si la partie de montagnes russes à la fête foraine ne se terminait aussi mal pour les humains. On n’échappe pas à son destin.
Il est évidemment impossible de résumer la BD, son jeu de tension permanent, tant dans l’histoire que dans le dessin. Winshluss est d’emblée un maître du 9e art et ça se sent. Il n’a que faire des phylactères. Ses images se comprennent sans l’aide du texte et elles disent beaucoup de choses sous le couvert de l’humour noir : le cynisme de notre époque (la dernière planche de Salut l’artiste), la soif de réussite et de reconnaissance (avec Fat Bob), le formatage des hommes robots, la vacuité des existences, la solitude dans la foule (100 % mort), la bassesse des instincts humains (Viva la Muerte) et tant d’autres choses encore.
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