A la force inaugurale du rêve prémonitoire répond comme en écho l’amitié indéfectible entre Tintin et Tchang. En effet, sans le relais de l’amitié, Tintin devrait se rendre à la raison et accepter la mort du jeune Chinois mais « sahib Tintin » s’obstine. Intimement persuadé que Tchang a survécu au crash du D.C. 3 de la ligne Patna-Katmandou, Tintin s’arc-boute sur la vision de Tchang « meurtri, blessé », le suppliant de venir à son secours.
Tintin au Tibet est probablement le chef-d’œuvre de la bande dessinée mondiale, toutes époques confondues. D’ailleurs, l’album transcende le média pour s’inscrire parmi les créations artistiques majeures dans l’histoire de l’humanité.
Le lecteur a la sensation de baigner dans une symphonie en blanc traversée de stridences oniriques. Les marcheurs en file indienne dessinent une portée musicale qui va progressivement s’exténuer et se dissoudre dans la vastitude des sommets enneigés. Aucun temps mort dans cet hymne à la vie, à l’audace et à l’amitié ! Beaucoup d’humour aussi malgré la tension dramatique et la solitude extrême en toile de fond ! Même le yéti, aussi abominable soit-il en apparence, a besoin de compagnie ! Que dire encore de la corde reliant Haddock à Tintin durant une ascension périlleuse, le capitaine suspendu dans le vide, le nylon entaillant Tintin, le froid paralysant les corps, la chute mortelle des deux amis quasi inévitable et le canif du capitaine destiné à trancher le « cordon ombilical » s’échappant des mains emmitouflées et engourdies et se brisant juste au-dessus de la tête du sherpa Tharkey ? « Moi marcher vers village mais penser à toi… Toi jeune sahib blanc et toi risquer ta vie pour sauver jeune garçon jaune… Moi homme jaune, et moi pas vouloir t’aider… Moi me dire moi poltron… Alors moi faire demi-tour et revenir vers toi… » Ainsi parle Tharkey le sauveur !
Le fac-similé de l’édition datée de 1960 restitue la beauté de l’impression originelle avec les nuances aquarellées de bleu et de gris qui magnifient les paysages de neige. La marche de Tintin au Népal est mystique. Elle amène au dépouillement et à l’extase. Elle traverse le monde blanc et ouvre sur la voyance. Le lecteur en reste tout ébloui.
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