Les Soeurs de Prague
Editions Gallimard
C'est le deuxième roman de Jérôme Garcin qui a écrit plusieurs récits, un journal ( Cavalier seul)et des essais, et des livres d'entretiens avec Jacques Chessex, Pascal Lainé et André Dhôtel.
J'ai à peu près tout lu, j'aime beaucoup Jérôme Garcin. Sa pudeur dans l'écriture, son ironie et son air de ne pas y toucher. Sa façon de parler de ses passions, les livres, les chevaux , sa famille, la Normandie.
Il le dit lui même, les héros vertueux lui plaisent dans la réalité mais l'ennuient dans la fiction.
J'ai un bon souvenir de son premier roman,C'était tous les jours tempête, dont le titre est emprunté à une phrase de Stendhal, "Chez cet être singulier, c'était presque tous les jours tempête", une biographie romancée de Marie-Jean Hérault de Séchelles ,et roman sur l'ambition.
Auquel il prête ces mots qui n'ont pas d'époque...:
" Même à la veille du supplice, je persiste et je signe. En politique comme ailleurs, y compris en amour, le succès est à ceux qui savent jouer, sur la scène publique, des rôles de composition et connaissent les lois de l'éloquence.Je crois la rhétorique plus forte que les idées. Je crois le mensonge plus prégnant que la sincérité. Je crois qu'il faut apprendre très tôt à taire ses enthousiasmes, ses détestations, et même ses idéaux; ne jamais offrir à l'ennemi l'occasion de vous percer. La franchise, qui est d'aillers une illusion, ne m'a jamais valu que d'être méprisé et davantage critiqué. Je crois que l'habit fait le moine, que l'acteur est dans ce qu'il proclame et dans les poses qu'il ne laisse de prendre sous des costumes d'emprunt.
Je suis toujours parti du principe que le monde dans lequel je vivais était corrompu ( qu'il fût coiffé d'une couronne ou d'un bonnet phrygien n'y changeait rien) et qu'il était non seulement ridicule mais surtout vain de lui opposer une morale. L'Histoire nous a appris que la vertu ne peut rien contre le vice et que , pour triompher des cyniques, il s'agit d'être plus cynique encore."
IL n'a pas du être suffisamment cynique, Hérault de Séchelles, car il a été guillotiné.
Une autre cynique dont le trajet est le même, c'est l'héroïne des Soeurs de Prague, Klara. Sauf que le milieu dans lequel elle évolue est différent, c'est celui du cinéma et de la littérature de nos jours. Et qu'on ne guillotine plus, on massacre par voie de presse ce que l'on a porté aux nues un mois avant.
Les Soeurs Gottwald ont une agence littéraire et artistique , et travaillent beaucoup à exploiter la vanité et le goût du toc de tout un petit cercle, que Garcin décrit de façon assez féroce. Faiseuses de rois médiatiques provisoires, avec pour ce faire le sans foi-ni loi nécessaire.
Dans leur griffes va tomber le narrateur ,peut être moins dupe que les autres, ou plus observateur .
Difficile de ne pas penser à des noms connus ,d'autant plus qu'ils abondent ( sous forme d'éloges le plus souvent) dans ce roman. Il y a certainement du vécu, ou du moins une forte inspiration...
Mais c'est aussi, , à travers un récit qui semble écrit avec une certaine distance et une certaine froideur,et toujours la même écriture où chaque mot a une importance, une invitation à méditer d'une part sur l'exil - que ces deux femmes viennent d'un pays de l'Est n'est pas sans importance -, d'autre part sur la dépossession, sur la manière dont des artistes peuvent se laisser prendre en main, voire humilier, dans l'espoir d'atteindre ce qu'ils croient être la réussite.
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