La petite Marjane est née en Iran, en 1970. Elle a connu le régime du Chah, puis la révolution islamique. Mais les répressions politiques, culturelles et religieuses sont bien plus qu’elle ne peut en supporter, elle qui a été élevée dans un environnement ouvert, aisé et cultivé. Rapidement, elle se prend donc le bec avec ses professeurs, qui ne savent que faire de cette enfant turbulente et qui refuse de se soumettre aux règles vestimentaires de l’école. Et puis il y a sa famille, ses oncles, qui ont été emprisonnés sous le régime du Chah, mais qui restent en prison sous celui des religieux. Ses parents, qui ne peuvent plus prendre le risque de laisser leur fille clamer haut et fort sa révolte, décident donc de l’envoyer chez des amis, en Autriche…
Marjane Satrapi est un cas unique dans le monde de la bande dessinée francophone. Elle est tout d’abord la première auteur de BD d’origine iranienne. Elle fait aussi partie des auteurs qui ont imposé de manière frontale la mode de l’autobiographie en BD. Raconter sa propre vie peut paraître vaniteux ou nombriliste. Mais Marjane Satrapi apporte son éclairage personnel à des faits méconnus ou oubliés en Occident : l’arrivée au pouvoir de fondamentalistes religieux dans un pays jusque là réputé pour sa laïcité et son modernisme. Ce véritable retour en arrière, culturel et économique, est suffisamment radical pour occasionner des évènements quotidiens proches de l’absurde. Les professeurs qui prônaient jusque-là le droit divin du règne du Chah demandent à leurs élèves d’arracher sa photo de leur livre de lecture en le fustigeant, les policiers chargés de faire respecter les règles vestimentaires usent et abusent de leurs prérogatives... L’obscurantisme prend des formes parfois surprenantes, et l’auteur saisit tous ces instants avec un humour mordant, parfois désabusé, mais jamais résigné. Son séjour en Autriche, marqué par une histoire d’amour bancale, de nombreuses réflexions racistes et une ouverture au monde occidental dans ce qu’il a de plus banal est pour elle l’occasion de s’émanciper. Et son retour parmi les siens, alors qu’elle est majeure et habituée à jouir d'une grande liberté, n’est pas aussi sombre qu’on pourrait le penser…
Sans donner de leçon, sans même désigner de coupables autres que la bêtise et l’aveuglement de certains religieux, Satrapi tient une sorte de journal de bord, avec des passages parfois drôles, souvent surprenants, régulièrement poignants, mais toujours gorgés d’humanisme. La cruauté mesquine et stupide dont elle se fait le témoin restera gravée dans la mémoire du lecteur, qui devra toutefois passer outre pour apprécier pleinement la portée de ce livre. Le graphisme, à la fois simple, expressif et percutant, se rapproche d’un travail d’illustration, mais apporte une rigueur et une efficacité au récit qui surprend page après page.
Un ouvrage remarquable. Nécessaire, même.
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