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[Païenne | Catherine Clément]
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apo



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Posté: Hier, à 13:51
MessageSujet du message: [Païenne | Catherine Clément]
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En cette année 392, un drame immense va se produire : le culte païen sera interdit par l'empereur Théodose et tous ses sanctuaires fermés partout dans l'Empire. Voici le récit de cette année fatale selon la perspective du prêtre Nikos et de sa pythie Aglaé IV, officiant pour la dernière fois au temple d'Apollon de Delphes, puis vivant un double exil, d'abord à Rome, enfin en Dacie.
La veille de cette interdiction religieuse, dans un territoire politique qui se désagrège et au milieu de valeurs éthiques qui vacillent, il y a certes le conflit entre les fidèles des anciennes croyances et les néophytes de la nouvelle foi chrétienne, entre conservatisme, fanatisme et conversions opportunistes, mais on assiste surtout à tout un syncrétisme et au triomphe de l'ambiguïté et de la dissimulation. Ainsi, à Éphèse, où le culte de la Vierge remplace celui de Cybèle ; ainsi des jeunes aristocrates romains de la 'gens' Valerii qui se redécouvrent païens à leur insu, protecteurs de nos héros ; ainsi d'une série de personnages secondaires qui, quant à leurs croyances et appartenances religieuses, se situent proprement dans « l'entre-deux »... Nous prenons connaissance de la situation politique et religieuse de Delphes, de Constantinople, d'Alexandrie, d’Éphèse, de Rome et même du Pont-Euxin, par les yeux de Nikos et par ceux de son espion Hélios.
Et naturellement Catherine Clément développe comme toujours son attention particulière pour les phénomènes extraordinaires liés aux rites, à la transe : guérisons et prophéties. Il y a là l'attachant personnage secondaire de la petite Astrée, albinos aveugle et clairvoyante, disciple et fille adoptive d'Aglaé. Surtout, nous vivons, avec les délices de descriptions très détaillées, les multiples scènes des oracles de la Pythie ; l'un des passages les plus intenses du roman, que j'aurais aimé pouvoir citer intégralement (cit. 5), c'est celui qui concerne la consultation d'Abaka Khân, Fils du Ciel Tengri, seigneur du peuple des Massagètes, dont on apprend que le dessein était de se saisir d'Aglaé par le rapt, afin de remplacer la devineresse de son clan, disparue... un autre épisode prodigieux de syncrétisme qui, malgré tout, eût pu fonctionner aussi. Entre références explicites ou implicites aux auteurs de la tragédie grecque, Histoire et un peu de psychanalyse, dans un style qui fait parfois penser à la prose de l'Antiquité, nous tenons là un scénario tout prêt pour un film qui représenterait cette histoire privée d'une petite famille d'exilés, évoluant dans un moment de tumultes et d'angoisses politiques.



Cit. :


1. « Hélios n'en crut pas ses oreilles. L'oracle de Delphes guérissait ? Il n'avait jamais entendu cela. Nikos avait-il vu de ses yeux une guérison spontanée ?
- Oui, dans certaines conditions, Apollon est un vrai guérisseur, raconta Nikos. Notre Aglaé IV débutait, elle avait, quoi, une douzaine d'années ? Il lui arrivait de roucouler. Un jeune prince malade, incapable de marcher tant il était faible, se leva de sa litière en l'entendant vocaliser. Puis hop ! il fit trois pas vacillants en étendant les bras pour se maintenir en équilibre, éclata de rire et se mit à marcher. Cela arrive avec des jeunes gens au sang faible. Mais nous n'avons pas parlé de miracle, ni de guérison spectaculaire ! Pour nous, c'était normal.
- Qu'est-ce que tu avais entendu, toi ?
- Je me souviens avoir transcrit les roucoulements d'Aglaé par ces mots : "Il faut que jeunesse avance." Tu me connais, je suis très prudent. Je ne me suis pas excité en criant que la Pythie avait guéri le prince !
- Dommage, soupira Hélios. Le peuple a besoin d'extraordinaire. Il lui faut un récit pour retrouver l'espoir et là-dessus, nos camarades chrétiens sont plus forts que nous... La résurrection des corps, le Paradis, ça paye, tu sais !
- Oui, mais nous, ici, à Delphes, nous avons les Formules, murmura Nikos. "Connais-toi toi-même", et "Rien de trop". » (pp. 60-61)

2. « - Eh bien, enfants, je crois avoir trouvé la vraie, la grande différence entre le paganisme et le christianisme. Une fois baptisés, vous devez adorer un seul dieu triple en trois morceaux. Tandis que moi, même prêtre d'Apollon le Tueur de Lézard, je peux adorer n'importe lequel des dieux païens...
- Nous pouvons adorer la Sainte Vierge ! Protesta l'adolescent, qui reçut aussitôt un coup de coude dans le dos.
- Tais-toi donc, c'est une fille... chuchota son aîné.
- Marie était humaine, répondit Nikos. Il le fallait pour porter un bébé dans son ventre et, ensuite, accoucher. Vous n'êtes pas libres de choisir un dieu à votre goût. Sauf peut-être... Connaissez-vous les dieux lares ? Ces minuscules statuettes protectrices des maisons ?
Les trois se lancèrent des regards satisfaits.
- Nos lares sont installés chez nous depuis des siècles, seigneur prêtre ! Nous nous appelons Aulus, Faustus et Decius, de très anciens prénoms, et nous sommes de la gens romains Valeria, seule survivante des premières grandes familles sous la République romaine, longtemps avant l'Empire !
- Fichtre, dit Nikos entre ses dents. On ne se mouche pas du pied, hein ? Voilà pourquoi vous êtes si bien élevés ! Et que faites-vous devant vos dieux lares ?
- On s'arrête, on les salue maints jointes, dit l'adolescent. Et de temps en temps, on leur offre un pigeon en sacrifi...
- Oui ! coupa Faustus, l'aîné, les yeux brillants de joie. Nous-mêmes, les Valerii, nous sommes des païens ! Je viens de le comprendre ! On fait couler le sang devant une statue !
Nikos éclata de rire.
- Et voilà comment trois jeunes chrétiens de très bonne famille romaine découvrent qu'ils sont restés païens ! lança-t-il.
- Vous croyez ? dit Aulus, l'adolescent. Elles sont si petites, les statues des dieux lares ! Elles ne représentent rien de sérieux ! Pourquoi adorer un garçon qui danse ?
- Ah ça... souffla Nikos. Souvent, nous autres païens, nous ignorons les pourquoi de nos dieux... Et c'est bien ainsi. » (pp. 101-102)

3. « Le délégué dévoila la statue couleur pourpre, la couleur réservée aux empereurs. Noblement drapée et couronnée de tours, Cybèle assise portait dans sa main droite une branche d'arbre grossièrement feuillue. Nikos esquissa un mouvement de recul.
- Une déesse à la couleur impériale ? Vous ne manquez pas d'audace, vous autres ! dit-il.
- Pourpre ? Mais non ! répliqua le délégué. Je vais vous expliquer. Notre déesse est de la couleur rouge, comme le sang du Christ ! Et comme vous le savez, le porphyre de cette couleur représente la courte vie du Sauveur, trente-trois ans. Ainsi, vous n'aurez pas d'ennuis avec les chrétiens persécuteurs, voilà toute l'affaire.
- Votre Cybèle, là, avec sa branche de pin, est-elle païenne ou chrétienne ? demanda Nikos.
- Les deux ! s'exclama triomphalement le délégué. J'espère que vous êtes content !
Abasourdi, Nikos comprit qu'il venait de faire la connaissance de l'imbroglio entre le rouge et le rouge, entre l'Empire et le Sauveur, sous le signe de la duplicité. » (pp. 121-122)

4. « Le voile safran de la Pythie s'agita faiblement au souffle de sa bouche ouverte, d'où sortaient les gémissements vocalisés célèbres dans tout l'Empire.
- Ccccchoaaaaazzzssttchtchoaaaa deiiiiitvvvaa...
Et puis tout s'arrêta.
- KEIIIINARGGENTIIIIIHNOA... recommença la voix murmurante sur un ton plus aigu.
Et Nikos traduisit.
"De par notre arc, signe de notre puissance, et par la flèche
Qui le temps peut suspendre
Changeant le cours du monde
De cent façons possibles en allumant la mèche
D'un feu incorruptible et insensible à l'onde
Écoutez bien, vous tous, ce qu'il vous faut entendre :
Pestilence ira où Nous voudrons." » (pp. 122-123)

5. «La Pythie ne bougeait plus. Le barbare non plus. On aurait dit qu'un fil invisible les reliait l'un à l'autre dans un monde féerique sans guerre, sans religions et même sans leurs dieux. Nikos marchait de long en large sans se décider à intervenir, comme s'il pressentait un danger.
Le renard échappé galopa jusqu'en haut du sanctuaire et se trouva brusquement en face d'une boule de poils roux hérissés, la chatte Salomé entre peur et colère. Il se hérissa à son tour et ne bougea plus. Poils dressés, feulements, pas un pas de plus essaye donc pour voir, griffes sorties, je t'aurai, immobiles tous les deux.
Lorsque Asia revint avec le voile blanc, la Pythie rouvrit les yeux et dit au barbare trois mots incompréhensibles. Nikos comprit que son Aglaé s'était mise à parler la langue du barbare.
L'interprète traduisit :
- Elle lui a dit : "Je t'aime".
D'une main qui tremblait, Nikos ajusta le voile immaculé et voulut revenir à l'état normal de la consultation :
- Ferme les yeux maintenant, je t'en supplie, murmura-t-il à l'oreille d'Aglaé. En vain.
Elle regardait fixement Abaka Khân.
Le barbare reprit sa respiration, soupira encore et encore, puis, en un éclair, il détacha l'arc de son épaule et tira une flèche sur Aglaé.
Et de nouveau le voile fut déchiré, laissant voir le sourire éclatant de la dernière Pythie.
Elle avait la flèche dans la main et cette main saignait.
Les fillettes se précipitèrent.
Nikos n'osait plus bouger. Le barbare haletait, fourbu, courbé, le regard vide. Le vieil interprète s'approcha de son maître et le soutint jusqu'à son petit cheval sur le dos duquel s'effondra Abaka Khân.
Puis l'interprète revint près de Nikos.
- Je lui avais dit, je l'avais prévenu ! Il dort maintenant, il va dormir longtemps. Il s'était mis dans la tête d'enlever votre Pythie toute crue, je l'avais alerté, c'était une folie, excusez-le auprès de la sainte dame, j'espère que la blessure de sa main n'est pas trop grave... » (pp. 138-139)

6. « Puis Arbogast avait choisi son nouvel auguste d'Occident. Ce n'était ni un militaire ni un membre de la famille impériale. C'était un haut fonctionnaire érudit, un civil à l'esprit ouvert, et qui s'appelait Flavius Eugenius Augustus depuis qu'il avait été couronné. Il avait enseigné la grammaire dans une école qu'il avait fondée, et jusqu'à son accession au titre impérial, il avait été maître des requêtes dans l'administration.
Il avait une particularité. Eugenius Augustus portait la barbe, comme Julien le Maudit, ce protecteur des païens. Cette barbe plaisait beaucoup, sauf à l'empereur Théodose.
Chacun louait le tempérament modéré de l'ancien professeur. Ce n'était pas un homme à aimer les conflits : Eugenius Augustus voulait équilibrer les relations du pouvoir impérial entre chrétiens et païens. Sensible aux réclamations du Sénat de Rome foncièrement païen, il ne s'opposait pas au retour de l'autel à la déesse Victoire, installé en 29 – avant la naissance du Sauveur – par l'empereur Auguste en plein milieu des gradins, c'est dire. Il fit mieux : il subventionna la restauration du temple de la déesse Vesta, divinité du foyer, un trésor patrimonial de la Ville païenne.
Mais d'un autre côté, le même Eugenius Augustus se montrait amical avec l'évêque Ambroise, lui-même aristocrate et puissant dignitaire de l’Église. Et Ambroise lui rendait la pareille.
- Ce sont affaires d'Occident ! dit Nikos.
Oui. Mais à Constantinople, plus puissant qu'un évêque ou qu'un auguste, l'empereur Théodose refusait de reconnaître Eugenius Augustus. Il avait même fortement désapprouvé la subvention pour le temple de Vesta.
- Et alors ?
- Alors notre Empereur prépare un de ses coups favoris, dit le centurion. Il va lever une armée et massacrer le nouvel auguste. D'ailleurs, le pauvre Eugenius a été officiellement déclaré "usurpateur". Il va perdre ! Notre Empereur sait commander une armée. Trop occupé sans doute, pour l'instant, Théodose n'a pas encore décidé de la date de fermeture des sanctuaires païens.
- Tous ? dit Nikos.
- Absolument tous. Ce sont les ordres qui m'ont été transmis. Mais à une date encore indéterminée.
- Bon ! se réjouit Nikos. Nous pourrons donc tenir la consultation du 7 septembre. » (pp. 169-171)

7. et excipit : « C'est là que les trois échappés de l'Empire découvrirent, éberlués et ravis, l'incroyable fourniment des dieux de la Dacie : Bendis, déesse de l'herbe, Cotylo, des moissons, Sabazius, du vin, Zibelthurdios, des tempêtes, Derzis, de la santé, et le plus grand de tous, Gebelzeizis, dieu de la foudre, avec son prophète Zalmokis, le dieu-ours tout nu armé d'une double hache. À l'exception d'Orphée, Nikos n'en connaissait aucun.
Mais quand même, il faisait trop froid. Nikos, Aglaé et Astrée partirent à la recherche d'un bord de mer et après avoir traversé montagnes et montagnes, le trouvèrent à Sozopolis, une ville très ancienne sur le bord du Pont-Euxin.
La mer ! Si bleue, si claire !
Au fil des vagues, pendant qu'Astrée prenait son premier bain, Aglaé, en bavardant avec les pêcheurs, découvrit le nom de l'ancienne ville située sous Sozopolis. Cette ville s'était appelée Apollonia du Pont. Ils étaient arrivés.
Aglaé accoucha d'une fille qu'ils appelèrent Artémis, et Nikos fit construire leur demeure avec les pierres de l'ancien temple d'Apollon, où la grande statue de bronze du Tueur de Lézard avait été volée.
Moi-je-Apollon ne réapparut plus, au grand soulagement de l'ancienne Pythie. »

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Swann




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Posté: Hier, à 14:59
MessageSujet du message:
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Qu'il y ait plus de que du syncrétisme au IVème siècle, ce n'est pas étonnant (notre ami Laudateur me manque à ce sujet), on n'efface pas des siècles de croyances ancrées dans des gestes aussi facilement. Je ne cesse de m'émerveiller qu'on soit passé si vite de l'autorisation d'un culte à son exclusivité, mais j'ai peut-être tort.
Pour Cybèle, je l'ignorais ; j'avais lu que les couleurs de bleu ciel et de blanc des représentations de la Vierge (surnom d'Astrée, la déesse de la justice) venaient d'Isis, mais je n'en ai retrouvé confirmation nulle part.
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apo



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Posté: Aujourd'hui, à 1:06
MessageSujet du message:
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"- Par tous les dieux, j'enrage ! s'écria Nikos. Pourquoi n'avons-nous pas eu, nous les Grecs, l'idée d'une vierge humaine qui accouche d'un vrai petit dieu ?
- L'idée innovait, maître. Ce n'est pas votre faute. Et puis les chrétiens ont ajouté un mythe dans le mythe. La mère du Sauveur, la Vierge Marie, est montée au Paradis avec son corps intact ! Sa chair de vieille dame ! ça plaît beaucoup...
- Avec l'aide du Saint-Pigeon, sans doute ? lâcha Nikos.
- Exactement. [...]" (p. 131) Very Happy
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