Rendre le monde meilleur.
Gentilhomme désargenté d'une région aride et ventée d'Espagne, Alonso Quichano prend le nom de Don Quichotte de la Manche, endosse une armure rapiécée, enfourche Rossinante, son canasson fourbu, enrôle le laboureur replet Sancho Panza comme écuyer monté sur son âne Grison et s'élance dans le vide du haut plateau castillan à la recherche de faits d'armes, de renommée, de torts à redresser, dans la plus pure tradition chevaleresque médiévale dont sa cabeza est farcie. Amour, justice et liberté sont les idéaux infrangibles du généreux hidalgo. Maquillant sans cesse la réalité triviale de visions fantasmagoriques, Don Quichotte n'abdique jamais. Il magnifie le misérable quotidien et fait d'une auberge de campagne un château merveilleux, d'une grange une splendide chapelle où il sera adoubé chevalier par le tenancier goguenard. Il transfigure une gardienne d'oie en madone et transforme des moulins à vent en géants à combattre. Les épisodes se succèdent et les exploits dérisoires s'enchaînent, souvent au détriment du bonhomme avec force bastonnade et humiliation à la clé qu'il ne semble ni ressentir ni voir.
Ce roman exceptionnel, d'une folle modernité, d'une truculence effrénée, drôle et pathétique comme la vie, tragi-comique comme au théâtre mais sans heureux dénouement à la fin, est ici adapté avec un brio époustouflant par les frères Brizzi. Les crayonnés, à la fois échevelés et précis, apportent une vivacité et une vitalité exceptionnelles à une bande dessinée hors case bien que les images délivrées du cadre déroulent une histoire cohérente et lisible. Les visions du Quichotte sont colorées et s'intercalent dans la réalité grisée en noir et blanc. le combat contre les moulins à vent est un moment de bravoure pour l'impétueux hidalgo ainsi que pour les auteurs. le lecteur ne peut que frémir de peur, éprouvant une empathie sans limite pour un homme ainsi ballotté par l'existence, emporté dans l'immense rotation des ailes entoilées lorsque c'est Pancho qui regarde ou luttant à la lance contre de gigantesques golems d'argile quand c'est Don Quichotte qui voit. La chute finale a lieu dans un trou où s'engouffre Pancho à son corps défendant. Don Quichotte descend secourir son écuyer et ami. Ce qu'il découvre au fond du trou l'expédie dans un précipice sans fond. La fin de l'histoire est poignante et la force expressive du visage de Pancho quand Don Quichotte l'appelle dans un dernier souffle est inoubliable. L'oeuvre de Cervantes jugée inadaptable trouve ici une nouvelle vigueur sous les crayons et les fusains enchantés des frères Brizzi.
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