Ce roman, qui possède les traits du récit autobiographique – comme le laisse apercevoir la confusion entre la narratrice et l'autrice dans l'Épilogue – dépeint certaines circonstances de violence à l'encontre des femmes, particulièrement dramatiques. Il s'ouvre sur une scène de violence conjugale à Paris, où la narratrice, Minga, alors âgée de huit ans, assiste à la persécution de sa mère, Joséphine, au point de l'aider à fuir son domicile. Des années plus tard, alors qu'elle se croit abandonnée, elle découvre un pli de lettres que sa mère n'a cessé de lui écrire et son père d'occulter jusqu'au décès de ce dernier. De ces lettres, Minga apprend que Joséphine, originaire d'Afrique, s'était expatriée et travaillait en tant qu'infirmière au sein d'une ONG : sa dernière adresse était le camp de Bidibidi, au nord de l'Ouganda, où se réfugient les Soudanais du Sud fuyant le conflit inter-ethnique qui a suivi la partition du Soudan en 2005. Décidant de l'y retrouver, Minga se rend dans ce camp de réfugiés, et elle reçoit progressivement le témoignage de trois autres femmes, Veronika, Jane Kanyingo et Rose Akech, dont le parcours tumultueux a croisé les derniers jours de Joséphine. D'emblée, Minga croise et compare la destinée tragique de ces femmes rescapées d'une guerre civile et victimes des atrocités que tout conflit inflige à la population féminine et aux enfants, y compris lors du retour des guerriers, avec le passé de sa propre mère. Celle-ci a sans doute trouvé un sens à sa vie endeuillée par l'abandon de sa fille dans le soulagement qu'elle a pu apporter en soignant d'autres femmes, et enfin dans son entreprise d'en sauver deux, au prix de sa propre vie. Cette communion des souffrances des femmes, mal aimées par des hommes brutaux, tentant de se reconstruire et de réinventer l'amour entre elles, est le thème du roman.
J'ai été touché et convaincu par le thème, j'ai appris quelques aspects du conflit et de l'exode des Sud Soudanais que j'ignorais, mais j'ai été fortement déçu par l'écriture de cet ouvrage. S'il est logique que l'intersection entre le destin de Joséphine et celui des trois réfugiées soudanaises constitue la chute de la tragédie, il eût été adroit de la mener en détaillant l'enquête de la narratrice à travers les lettres, peut-être même d'une façon non-linéaire où les narrations des vies des autres personnages auraient trouvé leur raison d'être dans la reconstruction du quotidien de Joséphine, au lieu de survenir abruptement. De même, la narration de la scène culminante est laissée quelque peu tronquée par le recours à une voix d'outre-tombe, alors que la fiction romanesque aurait autorisé l'autrice à tous les artifices permettant de la détailler davantage. Finalement, Joséphine est presque oubliée entre le moment où elle quitte sa fille et l'instant crucial de son décès, qui lui-même n'est pas vraiment élucidé. De plus, la version que j'ai lue (« épreuves non corrigées »), comporte de graves incohérences de temps entre les dates des décès de Joséphine et Rose (août 2018, p. 208) et d'autres repères chronologiques présents dans le récit (Pentecôte 2019, p. 149, l'incendie de Notre-Dame de Paris et la démission de Theresa May, respectivement le 15 avril et le 24 mai 2019, p. 187). Naturellement, ces maladresses dans la construction narrative se reflètent aussi parfois dans des tournures de style pas toujours heureuses, en tout cas pas à la hauteur de l'incipit (cit.)...
Cit. :
1. Incipit : « Mon père m'a dit un jour que les femmes avaient des ailes et que ces ailes avaient des plumes faites de la même matière que la résilience. C'était là le siège de toutes leurs effronteries. C'est pourquoi, ajoutait-il au cours de ses monologues nocturnes qui rompaient le silence de notre appartement : "Pour faire d'une femme la tienne jusqu'à la fin des temps, ce n'est pas son cœur qu'il faut atteindre. Il faut lui arracher les ailes, briser ses nervures, extirper ses racines, les brûler et en jeter les cendres dans un cours d'eau. Car, faible comme un oisillon, totalement dépouillée, elle sera pleinement dépendante." »
2. « Les Soudanais du Sud s'étaient dit [à l'issue de la seconde guerre civile, terminée en 2005 par l'indépendance du pouvoir arabe de Khartoum] : "Ça y est, nous sommes libres ! Plus jamais personne ne nous traitera comme des sous-hommes." Mais, malheureusement, c'était dans leurs rangs que, une fois libres, ils allaient commencer à s'entretuer : des Dinka, l'ethnie de Rose Akech, avaient voulu s'approprier le pouvoir d'une nation pour laquelle ils avaient tous combattu, qu'ils soient Nuer, Zandé, Jurchol, Shilluk, Acholi ou Lotuko. C'étaient les scarifications sur les visages des Nuer qui condamnaient leurs femmes au viol, leurs jeunes au lynchage et leur ethnie à l'extermination. De sous-hommes, ils étaient passés à une autre catégorie, celle qui annihilait toute notre humanité. Aux yeux des Dinka, ils étaient encore plus bas que ça. » (p. 178)
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