Série de "trois romans compacts"
"Vengeance"
De quelle vengeance s'agit-il ? Cochran a une liaison avec l'incandescente Miryea, femme d'un gangster parvenu, qui se sent d'autant plus trahi qu'il éprouvait de l'amitié pour lui. Il le laisse pour mort dans un endroit désertique. Il est recueilli par un paysan, suivi par un prêtre, Diller et soigné par un médecin et au milieu de toutes ces présences bienveillantes qui conspirent à ses santés, Cochran se prend à rêver de refaire sa vie à cet endroit. Mais qu'est devenue Miryea ? Forcément, l'objet d'une vengeance horrible. Petit à petit, Cochran se dit qu'il doit retourner faire face à son ancienne vie.
J'ai encore eu l'impression d'un récit très distancié alors même que les personnages nous offrent une grande variété d'émotions, mais vers la fin, l'action moins marmoréenne aboutit à une situation finale assez originale.
"L'Homme qui renonça à son nom"
Ce roman-là fait irrésistiblement penser à Une Odyssée américaine à partir du moment où le divorce tombe sur cet homme, Nordstrom, comme une surprise, une injustice qui fait voler en éclats son quotidien. C'est difficile à résumer. Là encore, le héros a notre sympathie et on le suit dans son flux puis son reflux avec intérêt. Il semble entrer dans ce processus décrit par Umberto Saba dans son poème "Felicità", sa thèse est que la vieillesse apprend à se délester de toutes les charges que la jeunesse avait voulu assumer et connaît alors le bonheur. Nordstrom met à profit tous les avantages de l'argent amassé quelques temps puis lui dit adieu, semble dire adieu à tous... On ne le perçoit pas tout de suite, mais je me permets de divulgâcher, car le processus mérite d'être observé car certaines péripéties semblent oiseuses sans cela.
Harrison détourne deux techniques littéraires, et peut-être même trois. La première, l'analepse dont il soulignera lourdement la fin ; on se demandera toujours son intérêt. De même, les extraits de journal intime de Nordstrom : ils dupliquent les passages narratifs en focalisation interne et n'apportent pas d'éléments que la narration externe n'aurait pu apporter elle-même. Enfin, l'épilogue n'en est pas un. J'y vois beaucoup d'humour, une sorte de clin d'oeil aux littérateurs.
"Légendes d'automne"
Dans le Montana, une famille américaine vit entre son habitation et d'autres lieux de vie, Boston, les terres de France où les trois fils sont engagés dans la Grande Guerre ; Tristan rêve de navigation auprès de son grand-père, de voyages, mais rêve en même temps d'une famille éternelle, toujours rassemblée, alors que son comportement empêche cela. L'implantation dans le Montana les fait côtoyer des Amérindiens et leur culture. On a un sentiment d'inaccompli dans leurs relations amoureuses qui peinent à débuter et ne finissent guère.
Citations :
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Nordstrom trouvait le petit ami de Sonia un peu trop malin à son goût. Intarissable, il enchaînait sans cesse de longues phrases truffées de propositions subordonnées et de divagations fumeuses à propos de l'Histoire et des arts. En tant qu'étudiant de Harvard, il s'entourait d'une aura d'autosatisfaction légèrement moisie que Nordstrom associait aux universités huppées de l'Ivy League. A Los Angeles, il avait remarqué que les diplômés de Yale, Dartmouth et d'autres prestigieuses universités étaient d'emblée favorisés, même s'il ne s'agissait souvent que de gros porcs, d'idiots ou des simplets, regardant de haut leurs concitoyens avec une indulgence désinvolte comme s'ils étaient hélas forcés de supporter leur voisinage humiliant. (L'Homme qui renonça à son nom)
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Lorsqu'arriva la notice officielle de condoléances, il ne l'ouvrit même pas, pas plus qu'il n'ouvrait les lettres quotidiennes de sa femme folle de douleur. Il était submergé par sa propre impuissance. Et comment avaient-ils pu enfermer Tristan pour le punir d'avoir pris quelques scalps de salopards de Boches ? Et qu'était-ce donc que ce gaz moutarde qui tuait les hommes après les avoir fait courir en rond, aveuglés et les poumons en feu au milieu des chevaux hurlants ? Décidément le monde n'était plus digne de faire la guerre. (Légendes d'automne)
* [i] Plus tard, dans la nuit, l'océan revient dans les rêves de Tristan ; il remua son corps couvert d'ecchymoses et vit le ciel et les longues vagues d'un quart de nuit. Il entendit les craquements d'une voile d'avant raidie par le gel et vit un ciel parsemé d'étoiles trop grandes pour être simplement les étoiles. Il se réveilla lorsque le corps de Susannah vint recouvrir le sien ; les rideaux de la chambre se gonflaient comme des voiles.[i] (Légendes d'automne)
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