Une femme affronte seule la mort par un cancer en phase terminale chez elle, en Afrique du Sud, près du Cap et refuse la maison de soins palliatifs. On sait qu'elle est bourgeoise, qu'elle ne manque de rien, que le compagnon dont elle est séparée est mort. Le texte est une sorte de journal qu'elle tient pour sa fille qui a quitté l'Afrique du Sud pour les États-Unis d'Amérique et s'est promis de ne plus jamais y revenir, pas même pour y revoir sa mère. Cette dernière elle-même vit cet Apartheid comme une honte profonde à cause de laquelle la mort sera une délivrance.
J. M. Coetzee (Prix Nobel de Littérature) nous présente sa narratrice comme une femme assiégée : est-ce un hasard esthétique ou a-t-il remarqué, comme moi, ce point commun chez les cancéreux ? Elle décrit son cancer comme une sorte de gestation qui ne donnera naissance à aucun enfant mais constate à l'extérieur une sorte d'invasion qui est à la fois un désagrément mais qui, au stade de solitude et de besoin d'engagement où elle est, de continuité des engagements de sa vie, finit par être accepté, voire accompagné volontairement. Le lecteur ne peut pas ne pas voir ce qu'elle note sans s'y attarder des attitudes plus que suspectes, dépourvues de la moindre empathie de ses envahisseurs (êtres de fer) : on comprend bien que dans les moments où elle se montre la plus affectueuse, ouverte, envers M. Vercueil, le vagabond, celui-ci calcule ce qu'il peut tirer de la situation ; et les autres personnages à l'avenant.
J'attendais plus de parallélismes avec la culture antique dans un roman inscrit au Programme de Terminale des Spécialités de Littératures, Langues et Cultures de l'Antiquité : la narratrice est une ancienne professeure de langues anciennes et ses références sont souvent liées à ses connaissances, mais ça n'est pas un fil directeur du roman très épais. L'Âge de fer, au demeurant, reste une croyance de l'Antiquité païenne, dont la vision du temps est circulaire, avec des cycles, l'Âge de fer étant le plus vil, le plus démoralisant, où les êtres sont en guerre, sont des soldats, avides, aux sacrifices et aux dons calculés. Or c'est bien l'impression que lui donne le pays où elle est dans le temps où il se trouve.
Mais ce qui me bouleverse, c'est que j'ai l'impression que, dans l'inertie de sa maladie et du stoïcisme induit par la vieillesse et l'arrivée de la mort, elle devient démiurge et transfigure, transforme ces êtres de fer en or... Et j'assiste pour la première fois à une critique du stoïcisme qui soit convaincante et l'espoir paradoxal que l'entropie se double toujours d'une échappatoire.
Quel chef-d’œuvre !
Citations :
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Plus vous cédez, Florence, plus l'attitude des enfants sera choquante. Vous m'avez dit que vous admiriez la génération de votre fils parce qu'ils n'ont peur de rien. Prenez garde : ils peuvent commencer par ne pas attacher de prix à leur propre vie et finir par n'attacher de prix à la vie de personne.
• Je donne ma vie à Vercueil pour qu'il la transmette. Je me confie à Vercueil parce qu'il ne m'inspire pas confiance. Je l'aime parce que je ne l'aime pas. Parce qu'il est faible comme un roseau je m'appuie sur lui.
• Voilà ma première parole, ma première confession. Je ne veux pas mourir dans l'état où je suis, dans un état de laideur. Je veux trouver mon salut. Comme trouverai-je mon salut ? En faisant ce que je n'ai pas envie de faire. (...)
Je dois aimer, avant tout, ce qui n'est pas aimable. (...)
Parce que mon cœur est réticent, parce que ma volonté d'être autre que je ne suis n'est pas entière, je continue à erreur dans le brouillard.
• Moi qui ne veux pas aimer ce garçon, mon amour pour toi, puis-je le dire véritable ? Car l'amour n'est pas comme la faim. L'amour n'est jamais rassasié, jamais apaisé. Quand on aime, on aime davantage. Plus je t'aime, plus je devrais l'aimer. Moins de je l'aime, moins (peut-être) je t'aime.
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