Au-delà du Saint-Laurent, dans le plus grand estuaire du monde.
Maurice Nadeau (1911-2013), remarquable éditeur à la longévité exceptionnelle souhaitait faire paraître les « Ecrits de nature » d’Alexis Gloaguen. La nouvelle équipe éditoriale a pris le relais et fait aboutir un projet porteur et enthousiasmant même s’il demeure relativement confidentiel. En 2020, le tome 3 des « Ecrits de nature » centré sur l’Atlantique Nord clôt la trilogie et fait suite chronologiquement au volume 1 paru en 2017 consacré aux Îles britanniques et au Morbihan et au volume 2 (2018) centré sur l’Ecosse et la Bretagne.
Hibou emblématique du Canada, le Harfang des neiges ouvre le bal dans le tiers livre des « Carnets de nature ». Son apparition à la Pointe du Diamant sur l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est une source d’émerveillement pour l’observateur qui étudie son « frère de plumes » dans le détail malgré l’hostilité de l’environnement qui œuvre aussi à la grâce de l’instant. Ilot coiffant le nord de l’île Saint-Pierre, le Grand Colombier, refuge d’oiseaux pélagiques, ouvrant sur la béance de l’Atlantique nord captive Alexis Gloaguen dans le texte suivant « Le Roc et la faille ». Son désir de faire corps avec la gent ailée l’entraîne dans des reptations acrobatiques flirtant avec l’abîme. Si le Colombier inspire la vie, la faille, avec son chien Labrador gonflé par la mort, entraîne le regard vers le cloaque de la pollution et l’engluement vers le néant : « Sur les roches, c’est le volettement dérisoire de la vie ». L’auteur s’accroche pourtant et sa danse sur le fil de la falaise, au plus près de la vie volatile, démultiplie l’intensité de l’instant, sa présence au monde, cherchant à : « toucher l’écore du présent » pour « s’ouvrir à l’éternité ». De ses affûts exposés au vent et au gouffre, Alexis Gloaguen « rafraîchit le monde au papier de verre de la poésie ».
La force de l’écriture réside en partie dans la précision du vocabulaire naturaliste, le rendu de la vie par des phrases habitées et dans le balayage attentif des composants d’un environnement ensauvagé. Voir, s’imprégner, écrire afin d’appréhender, c’est-à-dire saisir au corps le monde dans son impermanence et son infini. Bien que l’auteur préfère harponner l’idée par le mot, exprimer le concept, c’est dans la description lapidaire et fouillée, passée au scalpel de la langue qu’il excelle. Le texte de 70 pages « L’heure bleue » en est un bon exemple. Il occupe une place centrale et conséquente dans le recueil. Davantage dirigé sur la réflexion liée à la nécessité d’écrire, il place en retrait les observations de terrain et paradoxalement dilue le propos et la force des idées pourtant fondées et pertinentes. « Regards ouest », composés d’inédits, ouvrent, dans une phrase ultime et méditative, une trilogie exceptionnelle, nourrie d’illustrations remarquables, sertie dans une édition soignée qui placent les « Ecrits de nature » dans le giron des œuvres durables.
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