Je cherchais une analyse littéraire du Petit Prince, je m'y attendais de par le titre du livre, la 4e de couverture, la phrase qui présente l'auteur comme un « spécialiste de l'enfance maltraitée »... et j'ai lu une biographie de Saint-Exupéry, comme il en existe une douzaine, que je ne connais pas, dont je ne peux donc pas évaluer les mérites comparés avec celle-ci, à laquelle j'ai néanmoins trouvé de graves défauts.
D'abord j'ai déploré la continuelle « rotation autour du pot », d'un chapitre à l'autre qui, s'ils parcourent chronologiquement la vie de l'écrivain du IVe au IXe, sont ensuite dépourvus d'une structure apparente, mêlant la biographie et quelques observations épisodiques sur le Petit Prince.
Il existe une idée forte dans le livre : la vie de Saint-Ex aurait été caractérisée par une incomplétude de maturation, par une sorte de puérilité constante – dans le rapport au travail, à la mère, aux femmes, à la guerre – et qui se refléterait surtout par la recherche d'une foi chrétienne non atteinte. Conformément, la lecture que Pierre Lassus fait du Petit Prince est presque univoquement chrétienne voire christique. Comme si l'homme qui ne parvenait pas à avoir la foi avait toutefois écrit un Évangile (ce sont les mots de l'excipit). Il suffit de relever les intitulés des chap. successifs au IX. :
« X. Et verbum caro factum est », « XI. Tu es mon fils bien-aimé », « XII. Eli, Eli, lema sabaqthani [Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?] », « XIII. Dessine-moi un mouton », « XIV. L'annonciation », « XV. L'ascension », « XVI. Le découvrement [traduction par André Chouraqui du terme « apocalypse »] », « XVII. La rose et le mouton [comme symboles de la Vierge et du Christ] », « XVIII. La sortie d'Éden ».
Une lecture univoque, ça fait rarement une bonne analyse, mais dans ce cas, vu la faiblesse voire la contradiction du lien biographique, elle me paraît clairement caricaturale.
Qu'à cela ne tienne. Le biographe est certes libre de donner une vision anti-héroïque de son personnage, surtout lorsque des facteurs idéologiques, tels l'ambiguïté de la position politique de celui-ci face à de Gaulle et à Pétain pendant la guerre peut effectivement laisser perplexe, surtout eu égard à l'historiographie officielle postérieure.
Il se trouve aussi que dans le chap. Ier, dans la partie proprement biographique, et passim, Pierre Lassus multiplie les indices qui portent à croire que la disparition de Saint-Exupéry en mer, au large de Marseille, le 31 juillet 1944, telle que l'a désormais établie l'épave retrouvée en 2003, ait été le fruit d'un suicide. Pourtant l'auteur prend à deux reprises le parti de réfuter cette hypothèse, au nom d'un « sens du devoir », qui, encore une fois, semble dicté d'abord et surtout par... la foi que l'écrivain n'a pas !
Au prix de la minoration de la teneur des dernières lettres de l'aviateur, le biographe a toujours le choix entre leur interprétation et une énième citation évangélique (encore et encore et encore...) : il n'hésite pas. Et moi, je qualifie cela d'un seul mot : spécieux.
Cit. :
« Souvenons-nous de ce qu'il écrivait quelques mois auparavant dans Pilote de guerre : "Il a fallu ce voyage difficile pour que je distingue ainsi en moi, tant bien que mal, l'individu que je combats de l'homme qui grandit." [p. 213] Enfin il va pouvoir mettre un terme à ce combat, être lui dans son intégrité : "Il lui fallut construire sa propre passerelle sur l'abîme, rejoindre l'autre part de soi à travers l'espace et le temps." [Citadelle, p. 831] Et, d'une façon qui pourrait paraître paradoxale, il va le faire en se scindant lui-même, en séparant "l'individu" qu'il combat, c'est-à-dire le sujet inabouti, "en panne", de "l'homme qui grandit", c'est-à-dire la part du sujet qui réintègre l'histoire, pour les faire se rencontrer.
Ce sera la rencontre entre l'aviateur endormi et le petit prince qui termine un long voyage. » (pp. 146-147)
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