« Brie-Comte-Robert, ton univers impitoyable ».
Harold, âgé et défaillant, devrait coucher sur son testament le legs de sa CX diesel qui suscite les convoitises de ses enfants, Brandon, patron d’une discothèque désuète et son épouse Jessifer sur le point d’accoucher d’un enfant de père inconnu, Bill, coureur, frimeur et amant de Jessifer, Jean-Mortens, homosexuel noir éconduit, Pamela, en passe d’adopter un enfant coréen avec son mari Tony, chômeur déprimé et alcoolique. Cynthia refuse de voir et d’entendre les vérités que son mari Harold profère malgré son Alzheimer ainsi que le coming out de son fils Jean-Mortens. Dans ce cloaque familial ordinaire, chacun va jouer sa partition pour s’accaparer les faveurs d’Harold, l’acquisition de la CX diesel constituant le Graal du beauf en daube.
Dans une France giscardo-mitterrandienne cauchemardée, Fabcaro tricote les poncifs du soap-opéra qui connut un regain d’activité dans les années soixante-dix, quatre-vingt : « Dallas », « Amour, Gloire et Beauté », « Les Feux de l’amour », etc. Les personnages de Fabcaro ne sont pas seulement stéréotypés, ils sont des caricatures de beauf, des Français plus que moyens, ringards patentés, tristes jouisseurs et rois du déni. Pourtant, à les voir se démener pour sortir la tête du bourbier, cherchant à travers des plans puérils à sauver la face, le lecteur ne peut pas rire, parfois convulsivement, sans éprouver une fraternité d’âme avec des losers courus d’avance, tragiques dans leurs démêlés avec la vie. L’intégrale regroupe les trois saisons parues précédemment en albums ainsi qu’en planches dans la revue Fluide glacial. Le format à l’italienne est bien adapté à la mise en valeur des gags en une planche et six cases. Les dessins de James et les couleurs de BenGrrr pourraient paraître fadasses au premier coup d’œil mais avec une immersion immédiate et addictive dans la saga familiale des Gonzales, on se rend compte que le graphisme et la mise en couleur sont au diapason d’une satire bien troussée qui évolue au fil du quotidien des personnages. Le parti-pris de croquer les protagonistes en leur insufflant un aspect animalier (chien, canard, singe…) renforce l’aspect bouffon en préservant le hiératisme de chacun. Vus en plan moyen, statiques, peu démonstratifs, les Gonzales donnent un relief saisissant aux réparties acerbes ou décalées, stupides ou enfantines. Ainsi, quand Harold s’exprime en coréen avec l’« enfant » adopté par correspondance par Pamela et Tony, le lecteur, surpris, ne peut qu’exploser de rire. Les couleurs, riches, douces et nuancées enrichissent et architecturent le dessin de James. Le making-of en fin d’album conclut superbement une intégrale soignée et remarquable de bout en bout.
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